Une équipe de l’Institut d’ingénierie et de technologie biomédicale de Suzhou, en Chine, a conçu un utérus artificiel dans lequel un embryon peut se développer en toute sécurité. Le système, nommé « dispositif de culture d’embryons à long terme », est étroitement surveillé par une intelligence artificielle, qui veille à ce que l’embryon se développe normalement. Selon ses concepteurs, il peut être utilisé pour « porter » un grand nombre d’embryons animaux, y compris des fœtus humains. Cette technologie pourrait révolutionner l’avenir de la procréation, notamment dans un pays confronté à une chute inquiétante de la natalité.
La Chine est aujourd’hui confrontée à une catastrophe démographique : elle affiche un taux de natalité extrêmement faible (7,52 naissances pour 1000 personnes en 2021), le plus bas depuis plus de quarante ans. Après une longue politique de l’enfant unique, mise en œuvre de 1979 à 2015 pour éviter une surpopulation, le pays a autorisé deux enfants par famille, puis trois depuis 2021. Malgré ce changement de cap, la Chine doit aujourd’hui faire face au vieillissement rapide de sa population, et donc à une baisse du nombre d’individus actifs.
Pour faire face à cette crise sans précédent, des chercheurs proposent une technologie qui semble sortir tout droit d’un roman dystopique. Leur système, qui a été testé avec des embryons de souris, permettrait aux couples d’avoir des enfants, mais sans qu’une femme ait à les porter. Au-delà du fait que cela permettrait de mettre au monde plusieurs bébés rapidement et de créer une fratrie en un minimum de temps (puisqu’il ne serait plus nécessaire d’attendre la fin d’une grossesse pour « planifier » un autre enfant), ce genre de technologie pourrait aussi permettre de mieux comprendre la physiologie du développement embryonnaire et contribuer à résoudre les anomalies congénitales.
Un suivi automatisé du développement embryonnaire
Cet utérus artificiel est décrit comme un conteneur, où sont alignés des cubes remplis de fluides nutritifs, dans lesquels les embryons se développent. Les méthodes actuelles de développement de fœtus in vitro exigent que chaque culture d’embryon soit observée, documentée et ajustée par un technicien ; mais dans ce nouveau système, c’est désormais le rôle d’une intelligence artificielle spécialement conçue pour cela. Elle peut notamment ajuster les flux d’oxygène, de dioxyde de carbone et d’éléments nutritifs si nécessaire, ou intervenir sur certains facteurs environnementaux.
Un instrument d’optique à divers grossissements permet de localiser et d’observer en détail chaque embryon avec une incroyable précision, sans les manipuler (et donc sans affecter leur développement). « Trois modules optiques de contraste de phase 4×, 10× et 20× à modulation Hoffman ont été configurés dans ce système pour répondre aux exigences de différents champs de vision, notamment lorsque la taille de l’embryon augmente au cours de la culture », détaillent les chercheurs dans l’article décrivant leur technologie, publié dans le Journal of Biomedical Engineering.
Selon le South China Morning Post, à partir des données de suivi, le système est même capable de classer les embryons en fonction de leur santé et de leur potentiel de développement : si un embryon meurt ou souffre d’une anomalie, la machine alerte un technicien pour le retirer du système. « Les caractéristiques morphologiques à différents stades sont essentielles pour évaluer la compétence de développement de l’embryon, ce qui peut être utilisé pour optimiser et améliorer le système de culture d’embryons in vitro », souligne l’équipe.
Un système qui soulève de nombreuses questions éthiques
Les lois internationales actuelles n’autorisent pas les études expérimentales sur les embryons humains au-delà de deux semaines de développement. Le système n’a donc été testé que sur des embryons de souris — et il n’est pas encore certain qu’il fonctionne avec des embryons humains. Mais selon les scientifiques chinois, ce dispositif est véritablement l’avenir du portage des bébés à terme, éliminant les « inconvénients » d’une grossesse pour la mère et augmentant la sécurité du développement embryonnaire.
Ils ajoutent que cette technologie fournirait également une base théorique pour résoudre les anomalies congénitales et d’autres problèmes majeurs de santé reproductive. Mais le concept est évidemment entouré de préoccupations éthiques et sociales, sans compter les potentielles implications psychologiques pour l’enfant. The Independent souligne à juste titre que le système n’est pas sans rappeler le sujet de La Nurse automatique brevetée de Dacey, qui fait partie du recueil de nouvelles de science-fiction Expiration, de Ted Chiang. Dans cette histoire, un enfant élevé exclusivement par une nounou artificielle grandit et devient incapable d’interagir avec les autres humains.
En outre, ce type de procédé pourrait facilement conduire à une forme d’eugénisme. L’usage de cet utérus artificiel pour bébés humains n’est (heureusement) pas pour demain : la Chine interdit la gestation pour autrui et tout hôpital qui aurait recours à ce procédé devrait en assumer les conséquences.