Le dernier rapport du GIEC est sans appel : le changement climatique a réduit la sécurité alimentaire et l’accès à l’eau pour des millions de personnes, et la situation continuera de s’aggraver sans action forte de notre part. L’ONU estime qu’une personne sur quatre sera touchée par des pénuries d’eau d’ici 2050, que ce soit pour la consommation ou les cultures. D’autre part, toujours selon l’ONU, un approvisionnement stable en eau, en énergie renouvelable et en nourriture sont les trois facteurs les plus essentiels à la vie actuelle. Or, une fraction de la population mondiale n’a toujours pas accès à l’eau potable ni à une source d’énergie verte. C’est dans ce contexte que des chercheurs ont créé un système solaire permettant de faire pousser avec efficacité des plantes en utilisant de l’eau puisée dans l’air, tout en produisant de l’électricité. Cette innovation fournit une stratégie abordable et durable pour améliorer la sécurité alimentaire et hydrique dans de nombreuses régions arides et semi-arides à travers le monde.
À l’échelle mondiale, on estime à 2 milliards le nombre de personnes qui manquent d’eau potable, à 800 millions le nombre de personnes qui n’ont pas accès à l’électricité et à 700 millions celles qui vivent dans une famine constante.
C’est pourquoi, en 2015, les Nations Unies ont adopté les 17 Objectifs de Développement Durable (ODD), également nommés Objectifs mondiaux. Ces objectifs sont tous intégrés, c’est-à-dire reliés les uns aux autres : les interventions dans un domaine affectent les résultats dans d’autres. Ils ont pour but, et non des moindres, d’éradiquer la pauvreté, protéger la planète et faire en sorte que tous les êtres humains vivent dans la paix et la prospérité d’ici 2030.
La réalisation des ODD, d’ici là, dépendra largement de la manière d’améliorer les moyens de subsistance de milliards d’êtres humains, dont la plupart vivent dans des zones rurales, en Afrique, en Asie du Sud et au Moyen-Orient, avec des climats arides ou semi-arides. Aux vues de ces objectifs et du contexte géographique (climats, zones éloignées de grandes villes), on estime aujourd’hui que les approches décentralisées et de taille raisonnable sont les plus adaptées pour fournir économiquement de l’électricité et de l’eau dans ces régions rurales.
Précédemment, une étude de Lord et al. (2021) a souligné que le processus solaire de collecte de l’eau atmosphérique peut, potentiellement, répondre aux besoins en eau potable — 5 L par jour par habitant — pour plus de deux milliards de personnes à travers le monde. D’autres études ont également exposé l’utilisation de l’humidité ambiante dans les domaines de la récupération d’énergie, des agricultures urbaines autonomes et des systèmes autonomes de gestion de l’humidité. Ainsi, l’utilisation de l’eau atmosphérique, comme ressource alternative en eau, semble prometteuse. En effet, il faut savoir que l’atmosphère préserve en permanence plus de 12 900 milliards de tonnes d’eau douce potable. Cette eau est continuellement réapprovisionnée via le cycle de l’eau.
Une base solide et un hydrogel efficace
C’est dans cette voie que s’inscrit la présente étude de L. Renyuan et al. (2022), publiée dans Cell Reports Physical Science, couplant à la fois production d’eau douce, d’électricité et cultures agricoles. Dans cet objectif, les chercheurs s’appuient sur plusieurs de leurs précédents travaux concernant la chaleur générée par les panneaux photovoltaïques. D’une part, ils avaient démontré qu’il était possible de produire de l’eau douce avec de l’eau de mer en utilisant la chaleur résiduelle du panneau solaire, par le principe de la distillation. En d’autres termes, cette chaleur chauffe l’eau, qui en s’évaporant serait débarrassée des résidus salins via un système de distillation (filtrage) lié au panneau. D’autre part, complétant ces premiers résultats, ils ont mis au point une technique de refroidissement de ces panneaux solaires. Ils ont pour cela utilisé le cycle d’adsorption et de désorption de la vapeur d’eau atmosphérique, grâce à un matériau de récupération de l’eau (nommé aussi sorbant). Ce dernier est un hydrogel de polyacrylamide-chlorure de calcium.
D’où l’idée des auteurs, dans cette nouvelle étude, de proposer un système intégrant ces caractéristiques. Le dispositif consiste donc à : capturer la vapeur d’eau de l’air avec l’hydrogel, généralement la nuit ou le soir ; utiliser la chaleur du panneau pendant la journée, pour entraîner l’évaporation de l’eau atmosphérique capturée hors de l’hydrogel afin de refroidir ce même panneau ; recueillir la vapeur d’eau ainsi formée pour générer de l’eau douce et arroser les cultures.
Le dispositif expérimental, nommé WEC2P, a été construit à partir de panneaux photovoltaïques du commerce. La face arrière de ces panneaux a été démontée pour être enduite d’un traitement anticorrosif, puis d’une couche d’hydrogel ayant des propriétés d’autoadhésion. Une plaque y a été apposée pour renforcer le contact du panneau et de l’hydrogel. Ces panneaux ont été inclinés de 22 degrés par rapport au sol, face au sud. Un bac de récupération d’eau, ainsi produite, y était associé.
Par la suite, les chercheurs ont utilisé WEC2P pour entreprendre un test de culture de plantes, en Arabie saoudite, pendant deux semaines en juin, lorsque la température était très élevée. Ils ont irrigué 60 plants d’épinards aquatiques en utilisant uniquement de l’eau recueillie dans l’air.
Les résultats sont prometteurs : le panneau solaire a généré 1519 wattheures d’énergie pendant l’expérience. 57 graines d’épinards aquatiques sur 60 ont germé et se sont développées régulièrement jusqu’à 18 cm. Environ 2 litres d’eau ont été condensés à partir de l’hydrogel pendant les deux semaines d’expérimentation. L’équipe a conclu que l’hydrogel augmente l’efficacité des panneaux solaires photovoltaïques jusqu’à 9% en absorbant la chaleur et en abaissant la température des panneaux. Le prochain objectif est de développer un hydrogel supérieur, capable d’absorber davantage d’eau atmosphérique.
Un mode d’utilisation double, s’adaptant aux conditions ambiantes
La conception du WEC2P est telle qu’il offre deux modes facilement commutables : refroidissement des panneaux photovoltaïques et production de cultures aquatiques, permettant une grande flexibilité dans les applications pratiques.
Ce principe de fonctionnement du système est basé sur la nature variable des conditions ambiantes au cours du cycle jour-nuit. Lorsque l’humidité est élevée et la température basse (la nuit), l’adsorption de la vapeur d’eau est facilitée. Lorsque l’humidité est faible et que la température est élevée (la journée), le processus d’évaporation (et donc le refroidissement des panneaux) est favorisé.
Quelles plantes peuvent convenir à cette méthode ?
Évidemment, toutes les cultures ne sont pas possibles dans les régions désertiques. Les plantes qui « aiment la chaleur » sont les mieux adaptées à la production. Les solanacées (tomates, poivrons, aubergines) et les cucurbitacées (concombres, melons, courges d’été et d’hiver) sont deux familles de plantes qui prospèrent par temps chaud. Le maïs et les haricots se portent également bien dans les régions chaudes. Le basilic est une herbe qui aime la chaleur et qui fleurit même pendant les étés les plus rudes du désert.
Les variétés à rendement rapide peuvent surpasser les cultures qui mettent plus de temps à mûrir, en particulier dans les zones hautes et arides. Il faut des espèces pouvant résister à de grandes amplitudes de température entre le jour et la nuit. C’est donc sur le principe du local que l’utilisation de ce type de procédé doit jouer : production locale d’énergie, d’eau et de plantes, évitant de ce fait tout transport carboné et énergétique.
Des objectifs réalistes ?
Wang, un des co-auteurs de l’étude, professeur de sciences et d’ingénierie environnementales à l’Université des sciences et technologies du roi Abdallah (KAUST), explique que « s’assurer que tout le monde sur Terre ait accès à de l’eau propre et à une énergie propre abordable fait partie des objectifs de développement durable fixés par les Nations Unies ». Ces objectifs donnent la marche à suivre pour parvenir à un avenir meilleur et durable pour tous. La créativité, le savoir-faire, la technologie et les ressources financières de toute la société seront nécessaires pour atteindre les objectifs de l’ONU dans tous les contextes.
Plus particulièrement, mettre un terme à toutes formes de faim et de malnutrition, d’ici 2030, implique d’encourager des pratiques agricoles durables, d’améliorer les moyens d’existence et les capacités des petits paysans, de permettre une égalité d’accès à la terre, aux technologies et aux marchés. Cela implique aussi une coopération internationale pour assurer les investissements dans les infrastructures et technologies qui améliorent la productivité agricole.
Enfin, Wang déclare : « J’espère que notre conception pourra être un système d’alimentation et d’eau décentralisé pour éclairer les maisons et arroser les cultures ». C’est ainsi que ce dispositif fait évoluer l’agro-photovoltaïque actuel. Ce dernier consiste « seulement » à couvrir certaines productions agricoles de panneaux photovoltaïques amovibles et orientables, pour d’un côté protéger les cultures des intempéries, et de l’autre produire de l’énergie solaire. Ici, l’objectif est triple, en associant la création d’eau aux panneaux solaires, ils permettent la production d’électricité supplémentaire, d’eau douce et de cultures dans les régions arides.
Ce dispositif convient aux petites exploitations agricoles décentralisées, dans des régions éloignées telles que les déserts et les îles maritimes. Il propose une stratégie durable et peu coûteuse pour améliorer la sécurité alimentaire et hydrique des personnes vivant dans les régions arides et semi-arides, et ce d’une manière responsable et durable.