Faire de l’humain une espèce interstellaire est un rêve ambitieux porté par de nombreux scientifiques (dont le regretté Stephen Hawking), auteurs de science-fiction et passionnés. Mais avant cela, il faut concevoir et tester des moyens de propulsion et de transport interstellaire qui nous permettraient d’atteindre l’étoile la plus proche en un temps raisonnable. Dans cette ambition, des chercheurs motivés par le projet Starlight de la NASA — visant à envoyer des voiles spatiales propulsées par des faisceaux laser — étudient quelles espèces il serait envisageable de placer à bord des premiers vaisseaux interstellaires. Et, vous l’aurez sans doute deviné, les tardigrades font partie des finalistes.
Dans une nouvelle étude intitulée « Biologie spatiale interstellaire via le projet Starlight », publiée dans la revue Acta Astronautica, une équipe internationale de chercheurs détermine quelles espèces animales seraient les plus aptes à embarquer pour un voyage interstellaire, qui devrait durer une vingtaine d’années, à bord des premiers (minuscules) vaisseaux à voile.
Le système DEEP IN (Directed Energy Propulsion for Interstellar Exploration), proposé par la NASA dans le cadre du projet Starlight, vise à propulser des voiles spatiales à au moins 20% de la vitesse de la lumière à l’aide de faisceaux laser pointés depuis la Terre. Ainsi, il serait possible d’atteindre le système stellaire et planétaire le plus proche, Alpha du Centaure (situé à 4,367 années-lumière), en un peu plus de 20 ans.
Vers l’infini et au-delà
Les chercheurs ont ainsi sélectionné des espèces connues pour leur résistance à différents environnements extrêmes, parmi lesquels des nématodes, de rotifères, des champignons, des bactéries et bien sûr, des tardigrades. Comme certains d’entre vous le savent, les tardigrades connaissent déjà l’espace : des projets d’étude à bord de la Station spatiale internationale ont par exemple montré qu’ils étaient capables de survivre au vide spatial. Plus récemment, une mission lunaire israélienne embarquait des milliers de tardigrades à bord d’une sonde qui s’est malheureusement écrasée. Oui, à l’heure actuelle, il est donc probable que des milliers d’oursons d’eau (comme on les surnomme parfois) se baladent « tranquillement » à la surface de la Lune.
En d’autres termes, ces incroyables animaux ne mesurant que 0,5 millimètre de long et dont la biologie est encore partiellement incomprise, sont déjà de véritables explorateurs de l’espace. Sans exagérer, ils font partie des animaux les plus résistants que nous connaissons. Ainsi, cela ne fait aucun doute : parmi les premiers voyageurs interstellaires terrestres, il y aura des tardigrades.
À quoi en sommes-nous en matière d’exploration de la galaxie ? Jusqu’ici, à presque « rien » étant donné que seuls cinq vaisseaux ont quitté notre système solaire. Ces vaisseaux, dont les deux sondes Voyager font partie, prennent des décennies rien que pour quitter notre système et atteindre l’espace interstellaire, dont la limite se situe à environ 18 milliards de kilomètres de la Terre.
Cette même distance pourrait être parcourue en quelques jours seulement par les voiles solaires de la NASA, et ainsi nous permettre de tester la faisabilité de transporter les premières formes de vies sur des distances aussi grandes. Les précédents vaisseaux à longue distance ne contenaient que des messages, tels que les disques d’or gravés des sondes Voyager. « Au fur et à mesure que les capacités de propulsion par énergie dirigée se développent, le vol relativiste deviendra possible », écrivent les chercheurs dans leur étude.
S’inspirer des tardigrades pour rendre l’Homme résistant aux voyages spatiaux
Dans une nouvelle étude, Stephen Lantin de l’université de Floride et ses collègues ont analysé la quantité de nourriture nécessaire pour maintenir en vie différentes espèces, leur poids et leur résistance aux niveaux de radiation et aux fortes accélérations qu’ils rencontreraient au cours de leur voyage. Et les tardigrades, ne nécessitant que peu d’entretien, apparaissent comme d’excellents candidats pour devenir les premiers voyageurs interstellaires.
« Ce serait bien d’envoyer des humains, mais il y a certaines contraintes biologiques qui feraient qu’il serait plus favorable pour nous d’envoyer d’autres organismes, au moins lors des premiers vols », déclare Lantin. « Il faut beaucoup d’énergie pour envoyer quoi que ce soit dans l’espace interstellaire, du moins aux vitesses que nous proposons, et pour ce faire, il faut une charge utile vraiment petite ». Malheureusement, un tel vol serait une mission sans retour.
Les tardigrades et le minuscule Caenorhabditis elegans, une espèce de nématode incluse dans l’étude, ont tous deux l’avantage d’être capables de cryptobiose, une forme d’hibernation extrême dans laquelle les animaux ralentissent radicalement leur métabolisme lorsqu’ils se trouvent dans des conditions défavorables telles que la dessiccation (élimination de l’eau d’un corps à un stade extrême) ou le gel. On pense que les tardigrades n’utilisent que 0,01% de leur consommation énergétique normale lorsqu’ils sont en cryptobiose. Il a déjà été démontré qu’ils pouvaient survivre aux vols spatiaux et même à l’exposition au vide spatial lors d’études précédentes.
Thomas Boothby, de l’université du Wyoming, affirme que les tardigrades ont une résilience « remarquable » par rapport à presque tous les animaux, mais que le voyage interstellaire est beaucoup plus extrême que l’orbite terrestre basse. « Je pense que les tardigrades pourraient nous apprendre beaucoup de choses sur la façon dont nous, les humains, pourrions nous en sortir. L’un des principaux enseignements de ce type d’expérience serait probablement d’identifier les astuces utilisées par les tardigrades pour survivre et d’utiliser ces dernières pour tenter de développer des thérapies ou des contre-mesures pour les humains confrontés au stress des voyages interstellaires », explique-t-il. Mais pourrons-nous un jour bénéficier de certains de leurs super-pouvoirs grâce à l’édition génétique ?
« L’envoi de petites formes de vie cryptobiotiques comme organismes modèles peut ouvrir la voie à la recherche d’organismes plus complexes et moins robustes dans l’espace interstellaire », écrivent les chercheurs dans leur document. « Les informations présentées dans cette étude visent à faciliter la conception et à élucider l’espace expérimental actuellement disponible pour les missions de biologie spatiale interstellaire. Les travaux futurs de développement d’expériences de biosentinelles interstellaires plus sophistiquées et de conception de matériel, qui aboutiront à une compréhension plus approfondie de notre propre biologie et des mondes qui nous entourent, constitueront l’une des plus grandes entreprises de l’humanité », concluent-ils.