Des chercheurs ont suggéré que la technique d’édition génétique CRISPR-Cas pourrait être utilisée pour désactiver le VIH au niveau des cellules infectées. Lors d’expériences in vitro, la technique a pu désactiver les génomes pathogènes de plusieurs variantes virales. Bien que davantage de recherches soient nécessaires avant d’envisager une application clinique, les résultats seraient suffisamment prometteurs pour potentiellement découler sur une cure contre le SIDA.
Le SIDA représente un fardeau de santé publique majeur, affectant près de 39 millions de personnes dans le monde. Il n’existe encore à ce jour aucun vaccin ou véritable cure contre la maladie. Les prises en charge médicales actuelles consistent généralement en une thérapie antirétrovirale combinée (cART), qui n’élimine pas le virus, mais contrôle uniquement sa réplication.
Cependant, ce type de traitement présente de nombreux inconvénients. Alors qu’il n’est pas accessible à tous les patients infectés, ceux qui en bénéficient doivent en plus le prendre tout au long de leur vie, afin de contrôler la charge virale. D’autre part, la maladie est caractérisée par la présence de réservoirs viraux à longue durée de vie, dont les mécanismes et la localisation exacte ne sont pas entièrement compris. Il s’agit de cellules initialement infectées par des virus pouvant se répliquer, mais qui se sont stabilisées pour devenir des réservoirs viraux latents. Ces réservoirs peuvent à tout moment se réactiver et redémarrer la réplication virale, si le traitement antirétroviral est suspendu.
Les recherches actuelles pour contrer la maladie se concentrent donc sur l’éradication du virus et de ses réservoirs viraux. Il a récemment été suggéré que la technique d’édition génétique CRISPR-Cas pourrait être utilisée pour cibler directement les génomes viraux. En effet, en modifiant une séquence génétique ciblée, elle pourrait être utilisée comme une forme de thérapie génique pour de nombreuses pathologies. Un traitement de ce type a d’ailleurs été approuvé l’année dernière aux États-Unis et au Royaume-Uni, pour traiter l’anémie falciforme.
Des chercheurs de l’Université d’Amsterdam ont prouvé la viabilité du concept pour le VIH lors de récentes expériences en laboratoire. « Nous avons développé une attaque combinatoire CRISPR efficace contre le VIH dans diverses cellules et les endroits où il peut être caché dans les réservoirs, et avons démontré que les traitements peuvent être spécifiquement administrés aux cellules d’intérêt », expliquent-ils dans un communiqué de la Société européenne de microbiologie clinique et des maladies infectieuses. Les résultats de la recherche seront présentés au Congrès européen de microbiologie clinique et des maladies infectieuses (ECCMID 2024) du 27 au 30 avril, à Barcelone.
Une thérapie ciblant plusieurs variantes virales
Le système CRISPR-Cas a été révélé pour la première fois chez des bactéries procaryotes, qui s’en servent comme mécanisme de réponse immunitaire contre les infections bactériophages et les plasmides envahisseurs. Il fonctionne comme des « ciseaux » moléculaires, permettant de sectionner et de modifier la séquence génétique ciblée, guidé par des ARN guides (ARNg). Le terme Cas désigne une nucléase qui se lie à un court ARN CRISPR (ARNcr), ciblant les séquences d’ADN ou d’ARN viral concernés. Les endonucléases Cas9 et Cas12 clivent l’ADN, tandis que la Cas13 clive l’ARN.
Dans le cadre de la nouvelle étude, les chercheurs néerlandais ont utilisé la technique sur des séquences conservées du VIH, c’est-à-dire des séquences communes à toutes les souches virales. Cette stratégie permettrait de fournir une thérapie à large spectre pouvant cibler plusieurs variantes virales à la fois. « Notre objectif est de développer un régime combinatoire CRISPR-Cas robuste et sûr, en s’efforçant de parvenir à un remède contre le VIH inclusif qui puisse inactiver diverses souches de VIH dans divers contextes cellulaires », ont-ils expliqué.
Cependant, le vecteur viral nécessaire pour administrer la thérapie était trop volumineux pour pouvoir pénétrer correctement dans les cellules infectées. Les chercheurs ont alors développé une technique pour compacter la cargaison de sorte à l’administrer par le biais de vecteurs plus petits. D’un autre côté, le ciblage des cellules réservoirs représente également un défi majeur. Afin de le surmonter, les experts ont identifié des protéines spécifiques à ces cellules et pouvant être ciblées par la thérapie.
Par suite, afin d’évaluer l’efficacité de la thérapie, ils ont effectué des essais sur des bactéries infectées par le VIH. La technique a démontré des performances exceptionnelles pour inactiver complètement le virus avec un seul ARNg et exciser l’ADN viral avec deux ARNg. Une efficacité similaire a été observée avec les cellules réservoirs.
Toutefois, bien que les résultats semblent prometteurs, il ne s’agit pour l’instant que d’une preuve du concept, ont précisé les experts. Davantage de recherches sont nécessaires afin de véritablement évaluer l’efficacité de la thérapie. La prochaine étape consistera à optimiser son administration de sorte à cibler la majorité des cellules réservoirs. La stratégie sera ensuite testée sur des modèles précliniques afin d’évaluer les réponses au niveau d’organismes vivants entiers. Cette étape est essentielle pour déterminer comment obtenir des réponses spécifiques et éviter d’impacter les cellules non-réservoirs.
« Nous espérons atteindre le bon équilibre entre efficacité et sécurité de cette stratégie. Ce n’est qu’à ce moment-là que nous pourrons envisager des essais cliniques chez l’homme pour désactiver les réservoirs du VIH », ont-ils conclu.