Malgré près de 40 ans d’existence et de nombreux progrès améliorant son rendement, la synthèse de l’ADN in vitro reste encore aujourd’hui un processus long et manquant de précision. Il est encore difficile de synthétiser un gène sans aucun modèle de copie pour les molécules effectuant la tâche, ce qui peut prendre plusieurs jours selon sa longueur. Mais ces inconvénients pourraient n’être que du passé dans les années à venir, grâce à une méthode rendant possible la synthèse d’un gène sans modèle de copie, et ce en moins d’un jour.
Depuis les années 70, les scientifiques sont capables de fabriquer des brins d’ADN d’environ 200 nucléotides. Ces derniers, au nombre de 4 (l’adénine, la thymine, la cytosine, et la guanine), sont les composants de l’ADN de tous les êtres vivants. Ils sont ajoutés un à un durant la synthèse, pour former un oligonucléotide, ou oligo, qui est un brin d’ADN très court.
Mais cette méthode est lente et peu précise, car il arrive que les nucléotides ne se mettent pas dans l’ordre souhaité. De plus, l’utilisation de certains composés toxiques favorise ces erreurs d’assemblage, d’où le fait qu’il soit préférable de ne pas synthétiser des brins d’ADN trop longs, de l’ordre de 200 nucléotides.
Le processus est différent dans nos cellules : une enzyme, la polymérase, a besoin d’au moins un brin (le modèle) pour synthétiser l’autre brin complémentaire et ainsi obtenir un ADN à double brin en hélice complet. Depuis des décennies, la découverte de ce mécanisme a donné l’idée aux biologistes moléculaires, de fabriquer des polymérases modifiées afin de performer l’assemblage de nouveaux brins d’ADN in vitro de manière optimale.
L’une d’entre elles, la désoxyribonucléotidyl-transférase terminale (TdT), est une polymérase spéciale du fait qu’elle peut lier les nucléotides à un brin d’oligo sans nécessiter d’un brin modèle comme guide. Ce dernier se trouve naturellement dans nos cellules, et joue un rôle dans la modification de séquences codantes des anticorps, afin de les perfectionner selon le pathogène contre lequel ils sont fabriqués.
Mais l’anticorps optimal n’est pas exprimé du premier coup. Des millions de combinaisons différentes de nucléotides sont préalablement testées dans l’organisme, et cet inconvénient est principalement dû au fait que la TdT rajoute aléatoirement les nucléotides, ce qui pose aussi problème lors de la synthèse d’un brin d’ADN in vitro.
Sebastian Palluk, un doctorant ayant travaillé sur le projet du laboratoire de Jay Keasling (laboratoire Lawrence Berkeley) en Californie, explique : « Pour pallier à ce problème, les scientifiques ont essayé depuis des années de créer une TdT rajoutant un nucléotide à l’oligo, pour ensuite s’arrêter, avant de recommencer la procédure avec un autre nucléotide. »
Pour cette méthode, la structure moléculaire des quatre nucléotides est modifiée, de sorte qu’à chaque fois que l’un d’eux est attaché, la TdT est incapable d’en lier un autre à celui-ci de façon immédiate.
L’oligo est par la suite nettoyé puis traité avec un composé chimique éliminant la modification moléculaire du dernier nucléotide attaché. Ce dernier peut ainsi se lier à un autre nucléotide. Cette technique permet donc de contrôler et choisir l’ordre des nucléotides souhaité, et évite un assemblage chaotique où la TdT ajouterait de façon aléatoire, celui lui venant sous la main.
Mais le fait que les nucléotides soient modifiés altère le bon fonctionnement de la TdT : l’ajout d’un seul nucléotide peut prendre une heure.
Palluk et les collègues de son groupe ont testé une approche innovante : ils ont modifié les nucléotides en les liant chacun à une molécule de TdT, formant des complexes nucléotide-TdT. Pour éviter de mélanger les 4 types de nucléotides, ils les ont dilués dans des tubes différents.
Lors de la formation de l’oligo, ils l’ont inséré dans l’un des tubes du nucléotide-TdT désiré, et cette fois-ci, c’est la présence du TdT toujours attaché après la liaison, qui bloque l’extension, évitant ainsi l’ajout d’un deuxième nucléotide identique du tube. L’oligo est par la suite nettoyé, comme dans le cas de la méthode traditionnelle, puis un produit spécifique est utilisé pour détacher la TdT du dernier nucléotide, délivrant l’accès pour une autre liaison.
Grâce à la présence du TdT sur le nucléotide dès le départ, la totalité du procédé a l’avantage de ne durer que quelques minutes (l’ajout d’un nucléotide ne dure que 10 a 20 secondes). Le procédé est également peu coûteux, car la TdT est très facile à synthétiser.
Mais cette méthode innovante doit encore être perfectionnée. L’équipe n’a réussi jusqu’à présent qu’à synthétiser des brins de seulement 10 nucléotides, et il arrive qu’il y ait davantage d’erreurs dans la séquence, que dans le cadre de la méthode traditionnelle.
Néanmoins, la prometteuse méthode issue de cette découverte pourra très certainement, après quelques rectifications, révolutionner la biologie synthétique. En effet, celle-ci permettra de tester de nombreux gènes plus longs, provenant de vastes banques de données de séquences issues de grands projets, et ce, sans perte de temps considérable.