Le développement de la cosmologie moderne au cours de ces dernières années a permis aux physiciens de mieux comprendre le phénomène du Big Bang, à la fois en contraignant certains de ces paramètres et à la fois en en affinant plus précisément la description théorique. Néanmoins, celui-ci conserve encore une grande part d’incertitude, notamment concernant l’apparition du Temps. Récemment, des scientifiques ont montré que ce dernier a potentiellement pu émerger avant même le Big Bang.
Proposé dès 1922 par le physicien Alexandre Friedmann et formellement introduit par le chanoine Georges Lemaître en 1927, le Big Bang désigne un état dense et chaud de l’univers ayant, par suite, subit une dilatation extrêmement rapide. Depuis le début du 20ème siècle, de nombreuses observations astrophysiques – en commençant par la mise en évidence de l’expansion de l’univers par Edwin Hubble en 1929 – ont confirmé nombre des hypothèses constituant le modèle du Big Bang.
Cependant, malgré le nombre de données recueillies, certaines parties du Big Bang demeurent floues aux yeux des cosmologistes. L’ère de Planck, cette très brève période s’étendant pendant 10-43 secondes après l’apparition de l’univers, en est un parfait exemple. Parallèlement à l’obstacle du mur de Planck, une autre énigme brûlante constitue un domaine actif de recherche pour les scientifiques : l’émergence du Temps.
Une équipe internationale de physiciens vient peut-être de lever une part du mystère à ce sujet. Dans une étude publiée dans la prestigieuse revue Physical Letters B, les auteurs ont montré qu’en considérant les équations de la relativité générale d’Einstein, et en assumant le moins d’hypothèses possible, remonter la chronologie de l’univers n’aboutissait pas à une singularité initiale mais plutôt à un « espace-temps renversé » dans lequel le Temps avait bien cours.
Dans le modèle actuel du Big Bang et selon les équations de la relativité générale, il y a environ 13.7 milliards d’années, l’univers était réduit à un volume infiniment petit et infiniment dense : une singularité. « A cette époque, lors du Big Bang, toute la matière de l’univers aurait été empilée sur elle-même et la densité aurait été infinie » expliquait le physicien Stephen Hawking lors de sa conférence « Sur l’origine du Temps ». Après la publication des travaux d’Einstein sur la relativité générale, Hawking et le mathématicien Roger Penrose démontrent, en 1970, dans leurs théorèmes sur les singularités, que les équations d’Einstein sont insuffisantes dès lors qu’il s’agit d’étudier les singularités.
Lors d’une interview avec le cosmologiste Neil deGrasse Tyson, Hawking comparait les dimensions spatio-temporelles du Big Bang au pôle Sud : « Il n’y a rien au sud du pôle Sud, donc il n’y avait rien autour du Big Bang ». Bien que la conception classique du Big Bang interdise d’envisager des instants antérieurs à celui-ci, une physique du pré Big Bang émerge progressivement depuis ces dix dernières années avec le développement des théories à gravité quantique. Certaines hypothèses proposent l’existence d’un univers en rebond, d’autres l’existence d’un univers miroir, et d’autres encore des univers en interaction au sein d’un multivers.
En considérant une approche théorique différente, les auteurs de la publication montrent que le problème posé par les singularités émerge de propriétés contradictoires concernant le Temps tel que défini par la relativité générale. En s’affranchissant de la question des singularités, les physiciens ont réinterprété le modèle actuel de contraction de l’espace-temps en distinguant l’espace-temps d’une part et son contenu d’autre part.
« Tous les termes problématiques s’avèrent en fait non pertinents dès lors que l’on étudie la dynamique des différentes quantités déterminant la manière dont l’univers apparaît de l’intérieur » explique David Sloan, théoricien à l’université d’Oxford. Dans cette nouvelle théorie, la physique du Big Bang reste intacte au moment de l’apparition de l’univers. En lieu et place d’une singularité, les auteurs décrivent ce qu’ils appellent un « point de Janus », en référence au dieu romain à deux visages.
En remontant le Temps jusqu’à l’instant initial, les positions relatives et les échelles des composantes de l’univers s’aplatissent progressivement jusqu’à prendre la forme d’une surface 2D. Puis, passées le point de Janus, celles-ci retrouvent une configuration en 3D, mais inversée. Autre que l’existence d’un univers antérieur au Big Bang, cela signifie également que le Temps lui-même existait donc avant l’apparition de notre univers actuel.
L’idée d’un « univers renversé » n’est pas nouvelle. Plusieurs modèles d’espace-temps inversé ont déjà été proposés dans le but de décrire une potentielle époque antérieure au Big Bang. Cependant, jusqu’à maintenant, ces modèles n’offraient aucune solution satisfaisante au problème de la singularité initiale, se contentant de décrire un espace-temps au-delà de cette singularité. Avec cette étude, les auteurs proposent une toute nouvelle solution s’attaquant directement à la singularité.
En outre, contrairement à certains modèles d’univers, celui-ci ne modifie pas la relativité générale. « Nous n’introduisons aucun nouveau principe ni aucune modification à la théorie de la relativité générale d’Einstein – nous réinterprétons simplement les équations liées aux composantes de l’espace-temps » précise Sloan. Les auteurs concluent en rappelant que de nombreux développements sont encore nécessaires pour cerner et préciser correctement ce nouveau modèle, mais que celui-ci pourrait avoir de profondes conséquences sur la symétrie des particules et sur l’existence potentielle d’un univers initialement constitué d’antimatière.