L’apparition de la vie sur Terre est probablement l’un des événements les plus extraordinaires que l’Univers ait connus. Peu de temps après sa formation, cette masse rocheuse et ardente qu’était notre planète, a vu naître la vie, il y a environ 3,5 milliards d’années. Des conditions très précises ont été réunies au bon moment pour que la Terre devienne habitable, contrairement à ses voisines telluriques. Si aujourd’hui nos archives géologiques ont permis de dater ces grands moments de notre histoire, les conditions ayant permis à la Terre de devenir une planète capable de maintenir la vie restent encore partiellement floues. Une étude collaborative de Yale et Caltech a récemment avancé une théorie selon laquelle des roches très particulières et aujourd’hui disparues, auraient absorbé une grande partie du carbone atmosphérique et interagit précisément de la bonne manière avec l’eau de mer pour donner naissance à la matière biologique. Ces roches enrichies en pyroxènes et en magnésium seraient la clé de « l’hospitalité » biologique de la Terre.
Il y a 4,5 milliards d’années, la Terre était une toute jeune planète très active, avec un manteau encore en fusion et une surface presque entièrement recouverte de magma. Son atmosphère était remplie de dioxyde de carbone (plus de 100 000 fois le niveau actuel) et la température à la surface aurait dépassé les 204 °C. Des conditions extrêmes qui ne pouvaient abriter la vie et qui sont très similaires à celles de Vénus aujourd’hui, selon les experts. Pourquoi et comment la Terre a-t-elle alors pu évoluer autrement ?
De nombreuses archives géologiques suggèrent qu’au milieu de l’Hadéen (la première ère géologique entre 4,5 et 4 milliards d’années), l’environnement de la surface de la Terre était déjà similaire à celui d’aujourd’hui. Il a ainsi fallu que des conditions très précises soient réunies pour que cet environnement de surface puisse passer d’hostile pour la vie, à habitable.
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Publiée dans Nature, la nouvelle étude des chercheurs américains tente d’expliquer et couvrir les 500 premiers millions d’années de la Terre. « Cette période est la plus énigmatique de l’histoire de la Terre », explique dans un communiqué Jun Korenaga, professeur de sciences de la Terre et des planètes à Yale et co-auteur de l’étude.
Une séquestration du CO2 dix fois plus rapide
Pour imaginer la possibilité de l’apparition de la vie, dans l’hostile « boule de magma » qu’était notre planète, les chercheurs américains suggèrent qu’une grande partie du carbone atmosphérique devait être très rapidement éliminée. « D’une manière ou d’une autre, une quantité massive de carbone atmosphérique a dû être éliminée », affirme Yoshinori Miyazaki, auteur principal de l’étude.
Comme il n’existe aucun échantillon rocheux conservé issu de la Terre primitive, le groupe de chercheurs a imaginé et conçu entièrement un modèle expérimental, afin de vérifier sa théorie. Ils y ont ensuite appliqué des paramètres précis de thermodynamique, de mécanique des fluides et de physique atmosphérique pour simuler les conditions de notre planète à la moitié de l’Hadéen.
Par ailleurs, ils ont suggéré que la Terre de l’époque était recouverte d’une roche particulière qui n’existe plus aujourd’hui. Ces roches auraient jouer un rôle clé dans la formation des molécules biologiques, notamment en absorbant l’excès de carbone atmosphérique de la « jeune » Terre. En effet, essentiellement magmatiques, elles auraient été enrichies en pyroxènes. D’aspect, elles étaient sûrement d’un « vert sombre ». Elles auraient également été extrêmement riches en magnésium, à des niveaux de concentration rarement observés dans les roches actuelles. Elles pouvaient ainsi réagir avec le CO2 pour produire des carbonates, une capacité très efficace pour séquestrer le carbone atmosphérique.
Les chercheurs suggèrent aussi que lorsque la Terre en fusion a commencé à refroidir et à se solidifier, son manteau hydraté par des ruissèlements d’eau a subi de forts mouvements de convection. La combinaison d’un manteau humide et de pyroxénites à haute teneur en magnésium a alors considérablement accéléré le processus d’extraction du CO2 de l’atmosphère. Ce phénomène aurait duré seulement 160 millions d’années (plus de 10 fois plus rapide qu’avec un manteau de roche classique).
Ce manteau chimiquement hétérogène est également à l’origine d’une croûte océanique riche en olivine (le premier minéral à cristalliser lorsqu’un magma refroidit), qui a réagi avec l’eau de mer et favorisé la serpentinisation. « En prime, ces roches étranges de la Terre primitive auraient réagi facilement avec l’eau de mer pour générer un flux important d’hydrogène. Ce dernier est largement considéré comme essentiel à la création de biomolécules », explique Korenaga.
De telles conditions et réactions thermochimiques peuvent actuellement être observées en haute mer, notamment dans le champ hydrothermal de Lost City, dans l’Atlantique. La production abiotique d’hydrogène et de méthane qui s’y produit en a fait un lieu de prédilection pour étudier l’origine de la vie sur Terre. Selon les auteurs de l’étude, ces « champs » auraient existé à l’échelle mondiale, dans les fonds marins hadéens. « Notre théorie a le potentiel d’expliquer non seulement comment la Terre est devenue habitable, mais aussi pourquoi la vie y est apparue », conclut Korenaga.