La propulsion à fusion nucléaire est une technologie qui révolutionnerait les voyages dans l’espace. Les scientifiques travaillent depuis plusieurs décennies à la concrétisation de ce concept. Une équipe de chercheurs du Laboratoire de physique des plasmas de Princeton (PPPL) est particulièrement active sur le sujet : son moteur DFD (Direct Fusion Drive), en cours de développement, est très prometteur. Sa première destination ? Titan, le plus grand satellite de Saturne, qu’il serait capable de rejoindre en un peu moins de deux ans.
L’équipe de chercheurs, dirigée par le Dr Samuel Cohen, travaille actuellement sur la deuxième mouture de son concept de moteur à fusion, le PFRC-2 (Princeton field-reversed configuration). Si les futurs tests sont concluants, leur technologie pourrait devenir le principal système de propulsion des vaisseaux spatiaux explorant le système solaire.
À la recherche de la vie sur Titan
Pourquoi Titan ? Car il possède une atmosphère riche en composés organiques, des lacs d’hydrocarbures liquides (éthane et méthane), ainsi qu’un potentiel océan souterrain (des informations recueillies grâce à la sonde Huygens qui s’est posée sur Titan en 2005). Ainsi, ce satellite naturel pourrait potentiellement abriter une forme de vie. Reste à collecter davantage de données pour le vérifier… Or, selon des recherches effectuées par une équipe d’ingénieurs aérospatiaux du département de physique du New York City College of Technology, avec la fusion nucléaire, il serait possible d’envoyer une sonde sur Titan en un peu moins de deux ans ! Pour info, la distance Terre-Titan est d’environ 1,4 milliard de kilomètres !
Le moteur conçu par Cohen et ses collaborateurs affiche un rapport puissance/poids extrêmement élevé. Le carburant est un mélange de deutérium (2H) et d’hélium 3 (3He) ; même avec des quantités relativement faibles de ce carburant, le DFD peut surpasser les méthodes de propulsion chimique ou électrique actuelles. Son impulsion spécifique — en d’autres termes, la force exercée en fonction de la quantité de carburant consommé par unité de temps — est comparable à celle des moteurs électriques les plus efficaces existant aujourd’hui.
En outre, le moteur DFD fournirait une poussée de l’ordre de 4-5 N en mode faible puissance, soit à peine moins que ce que produirait une fusée chimique sur de longues périodes. En résumé, le DFD combine l’excellente impulsion spécifique des systèmes de propulsion électrique à l’excellente poussée des fusées chimiques. Voici en vidéo, une explication du fonctionnement du DFD (Crédits : YouTube/Princeton Satellite Systems) :
Associée aux ingénieurs du New York City College of Technology menés par le professeur Roman Kezerashvili, et à deux étudiants de l’école polytechnique de Turin, Paolo Aime et Marco Gajeri, l’équipe de Cohen a entrepris de calculer le meilleur trajet jusqu’à Titan pour son moteur. Leur réflexion a abouti à deux possibilités : l’une où la poussée constante ne serait appliquée qu’au début et à la fin du voyage (un modèle désigné par thrust-coast-thrust, ou TCT) et l’autre où la poussée serait constante pendant toute la durée du trajet.
Dans les deux cas, il sera nécessaire de changer la direction de la poussée pour ralentir le vaisseau et lui permettre de pénétrer dans le système saturnien. Dans le scénario de la poussée constante durant tout le périple, le voyage durerait un peu moins de deux ans, tandis que le scénario TCT augmenterait la durée totale à 2,6 ans (et ce, pour un vaisseau spatial beaucoup plus grand que la sonde Cassini).
Un trajet optimal prévu pour 2046
En outre, aucun des deux chemins envisagés ne nécessiterait d’assistance gravimétrique, dont bénéficient habituellement les vaisseaux se déplaçant vers les planètes extérieures. À titre d’exemple, la mission Cassini-Huygens lancée en 1997 — la dernière à s’être rendue dans le système saturnien — a utilisé une série d’aides gravitationnelles entre la Terre et Vénus pour atteindre sa destination. Le voyage a duré près de sept ans. Après calcul des trajectoires les plus optimales — un travail colossal qui a fait l’objet de sa thèse — et compte tenu des alignements planétaires, Marco Gajeri précise que la situation sera particulièrement idéale en 2046. Ce qui donne à l’équipe du PPPL quelques années supplémentaires pour améliorer son engin.
Se rendre dans le système saturnien n’est pas le seul défi à relever par l’équipe. Il sera particulièrement difficile de faire en sorte que l’engin s’installe en orbite autour de Titan. Pour ce faire, il faut s’attaquer au problème dit « à trois corps », un problème de mécanique orbitale notoirement difficile, qui consiste à résoudre les équations décrivant les mouvements de trois objets célestes s’attirant les uns les autres sous l’effet de la gravitation (ici, le vaisseau spatial, Saturne et Titan).
Une fois ce problème résolu, donc une fois que le vaisseau sera en orbite autour de Titan, il pourra pleinement exploiter tout le potentiel de son moteur DFD, qui fournira une alimentation directe aux différents systèmes du vaisseau. À savoir que la plupart des missions explorant le système solaire externe utilisent des générateurs thermiques à radio-isotopes (RTG) comme sources d’énergie. Or, le DFD est à la fois une source de poussée et une source d’énergie. Par conséquent, il peut fournir toute la puissance dont un vaisseau spatial a besoin et ce, même pour une très longue mission.
Cette propriété ouvre naturellement la voie à un large éventail de missions, encore plus lointaines. Les chercheurs qui ont étudié la faisabilité de la mission sur Titan ont également examiné le potentiel d’une mission vers des objets transneptuniens. Jusqu’à présent, seule la mission New Horizons, lancée en 2006, s’est rendue aussi loin ; la sonde a mis neuf ans pour atteindre Pluton ! Évidemment, un moteur DFD opérationnel réduirait considérablement le temps nécessaire pour effectuer ce trajet.