Un groupe de physiciens avance que la « mémoire gravitationnelle », un phénomène prédit par la relativité générale d’Einstein, pourrait enfin être observée et confirmée. Cette empreinte subtile, laissée par les ondes gravitationnelles générées par des événements cosmiques passés tels que la collision de trous noirs, pourrait être détectée dans le rayonnement fossile du fond diffus cosmologique. Une découverte qui fournirait de précieuses informations sur l’évolution de l’Univers.
Selon la relativité générale d’Einstein, les objets massifs et les phénomènes cosmiques extrêmes, comme la fusion de trous noirs, déforment la trame de l’espace-temps, générant ainsi des ondes gravitationnelles qui se propagent à la vitesse de la lumière. Alors que les ondes électromagnétiques résultent de l’accélération de particules chargées, les ondes gravitationnelles naissent du mouvement accéléré de masses colossales.
À la différence des autres types d’ondes, qui traversent la matière sans en altérer la structure, les ondes gravitationnelles en modifieraient durablement la structure. Tout objet traversé par ces perturbations — y compris les particules élémentaires comme les photons — subirait des modifications permanentes de ses propriétés physiques, y compris sa vitesse. Ainsi, le rayonnement cosmique pourrait conserver une empreinte de ces ondes.
Jusqu’à présent, si l’existence des ondes gravitationnelles a été confirmée par des instruments de pointe comme le Laser Interferometer Gravitational-Wave Observatory (LIGO) aux États-Unis et l’interféromètre VIRGO en Italie, leur signature persistante, appelée « mémoire gravitationnelle », demeure insaisissable.
Une méthode inédite pour traquer la mémoire gravitationnelle
Une équipe internationale de chercheurs propose une nouvelle approche qui pourrait permettre, pour la première fois, de détecter cette mémoire gravitationnelle. Selon eux, elle se manifesterait sous forme de légères variations de température au sein du fond diffus cosmologique (cosmic microwave background, ou CMB), vestige du rayonnement primordial émis quelque 380 000 ans après le Big Bang.
La confirmation expérimentale de ce phénomène ne se limiterait pas à une simple validation des prédictions d’Einstein. Elle offrirait également des données précieuses sur les événements extrêmes ayant façonné l’Univers. « Nous pouvons en apprendre énormément », explique Kai Hendriks, doctorant à l’Institut Niels Bohr de l’Université de Copenhague et co-auteur de l’étude, dans une interview accordée à Live Science. « En mesurant la mémoire gravitationnelle dans un signal d’onde gravitationnelle, nous obtenons des informations supplémentaires sur les propriétés des trous noirs qui l’ont généré : leur masse, leur rotation ou encore leur distance par rapport à nous ».
Une empreinte thermique trop faible pour être détectée avec les technologies actuelles
Pour évaluer la possibilité de détecter cette mémoire gravitationnelle, les chercheurs ont modélisé l’influence des collisions de trous noirs sur le CMB. Leur analyse suggère que ces événements cataclysmiques induisent bien des modifications détectables dans le rayonnement fossile. L’intensité du signal dépendrait de la masse des trous noirs et de la fréquence de leurs fusions au cours du temps cosmique.
Les chercheurs prédisent que ces variations se traduiraient par des fluctuations de température au sein du CMB. La température d’un rayonnement étant inversement proportionnelle à sa longueur d’onde, un décalage de cette dernière pourrait indiquer un réchauffement ou un refroidissement localisé du rayonnement fossile.
« Une partie de la lumière affectée par la mémoire gravitationnelle devient légèrement plus chaude, tandis qu’une autre partie devient plus froide », précise David O’Neill, doctorant à l’Institut Niels Bohr et co-auteur de l’étude. « Ces zones de températures contrastées formeraient un motif caractéristique dans le ciel. Nous nous attendons à ce qu’il soit présent dans le fond diffus cosmologique, bien que son intensité soit extrêmement faible ».
Des instruments comme le télescope spatial Planck ont déjà cartographié le CMB avec une précision inégalée. Toutefois, les fluctuations de température liées à la mémoire gravitationnelle seraient infimes — de l’ordre d’un milliardième de degré — et demeurent hors de portée des technologies actuelles. Les futurs observatoires dotés d’une résolution accrue pourraient cependant permettre leur détection.
Une avancée théorique qui nécessite des modèles plus poussés
Les auteurs de l’étude reconnaissent que leurs calculs reposent encore sur des hypothèses simplifiées. Par exemple, leur modèle considère la fusion de deux trous noirs de masses identiques, un scénario peu probable dans la nature. En réalité, la masse des trous noirs supermassifs peut varier de quelques millions à plusieurs dizaines de milliards de masses solaires, ce qui aurait un impact considérable sur leur mémoire gravitationnelle.
« Pour l’instant, l’effet que nous étudions est incroyablement subtil. Cependant, il est possible que dans certaines régions du ciel, il soit étonnamment prononcé », souligne Hendriks. « Pour l’explorer en détail, nous devons élaborer des modèles plus sophistiqués intégrant l’évolution complète de l’Univers. Ce n’est pas une tâche aisée, mais elle pourrait nous rapprocher de la détection de cette empreinte cosmique et ouvrir de nouvelles perspectives sur l’histoire de notre Univers ».
Les implications de la mémoire gravitationnelle dépasseraient largement le cadre des collisions de trous noirs. Sa détection fournirait des indices clés sur la fréquence de ces événements dans l’Univers primitif. Elle pourrait aussi permettre l’étude d’autres phénomènes astrophysiques générateurs d’ondes gravitationnelles, tels que les explosions de supernovas ou la collision d’étoiles à neutrons. Si cette hypothèse était confirmée par l’observation, elle apporterait une contribution importante à la compréhension de la relativité générale et à la reconstitution du passé cosmique de l’Univers.