Pendant 16 ans, une équipe internationale de chercheurs a mené une expérience pour remettre à nouveau en question la théorie de la relativité générale d’Einstein. En examinant une paire d’étoiles extrêmes au moyen de sept radiotélescopes à travers le monde, ils ont observé de nouveaux effets relativistes pour la première fois. Après une série de tests extrêmement rigoureux, ils confirment que le comportement de ces pulsars est cohérent avec les prédictions d’Einstein.
La théorie de la relativité générale décrit l’influence de la présence de matière — plus généralement d’énergie — sur le mouvement des astres en tenant compte des principes de la relativité restreinte ; elle énonce notamment que la gravitation n’est pas une force, mais la manifestation de la courbure de l’espace-temps. « Si nous avons quelque chose de vraiment massif, cela déforme l’espace-temps autour de lui dans une plus grande mesure que quelque chose de moins massif », explique le Dr Robert Ferdman, de l’Ecole de physique de l’Université d’East Anglia.
Cette théorie permet d’expliquer de nombreux phénomènes, mais elle n’est pas compatible avec les autres forces fondamentales décrites par la mécanique quantique. « Plus de 100 ans plus tard, les scientifiques du monde entier poursuivent leurs efforts pour trouver des failles dans cette théorie », souligne Ferdman. Mais jusqu’à présent, aucun test expérimental n’a pu mettre en défaut cette théorie. Et la paire de pulsars observée, nommée PSR J0737-3039A/B, confirme une nouvelle fois les prédictions.
« Un laboratoire sans égal » pour tester les théories de la gravité
Pour les scientifiques, il est important de continuer à soumettre la relativité générale à des tests aussi rigoureux que possible, afin de découvrir dans quelles circonstances la théorie de la relativité s’effondre. « Trouver une déviation de la relativité générale constituerait une découverte majeure qui ouvrirait une fenêtre sur une nouvelle physique au-delà de notre compréhension théorique actuelle de l’Univers », explique Ferdman. L’objectif ultime étant de découvrir un jour une « théorie du tout » décrivant de manière cohérente l’ensemble des forces fondamentales de la nature. Une équipe de chercheurs a donc tenté de mettre à nouveau la célèbre théorie à l’épreuve, à l’aide de deux pulsars.
Les pulsars sont des étoiles à neutrons tournant très rapidement sur elles-mêmes — des étoiles très petites et très denses, qui peuvent mesurer jusqu’à 20 kilomètres de diamètre et dont la masse peut être équivalente à environ 2,4 masses solaires. Ces objets émettent un rayonnement électromagnétique intense à partir de leurs pôles magnétiques ; ils produisent un signal périodique, de l’ordre de la milliseconde à quelques dizaines de secondes. Parce que ces « flashs » sont chronométrés avec une précision incroyable, ils sont très utilisés par les astronomes, en particulier pour sonder le milieu interstellaire et pour étudier la gravité.
Le pulsar PSR J0737-3039A/B, découvert en 2003, situé à environ 2400 années-lumière, est le seul pulsar double identifié à ce jour. Tous deux sont très proches et tournent l’un autour de l’autre en 147 minutes seulement, à environ un million de km/h. L’un tourne très vite sur lui-même, environ 44 fois par seconde ; son compagnon, plus jeune, est plus lent : sa période de rotation est de 2,8 secondes.
Parce que ces objets sont extrêmement denses, leurs champs gravitationnels sont très puissants, ils peuvent donc chacun significativement affecter la synchronisation et l’angle des impulsions de leur voisin. Pour les experts, c’est une incroyable opportunité d’étude, « un laboratoire sans égal pour tester les théories de la gravité en présence de champs gravitationnels très puissants », explique Michael Kramer, astronome et astrophysicien de l’Institut Max Planck de radioastronomie, en Allemagne, et directeur de cette recherche.
Sept « tests » de la relativité générale passés avec succès
Sept radiotélescopes sensibles — situés en Australie, aux États-Unis, en France, en Allemagne, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni — ont été utilisés pour suivre ce pulsar double. Non seulement ces observations étaient cohérentes avec la théorie de la relativité, mais l’équipe a également pu voir des effets relativistes qui n’avaient jamais pu être étudiés auparavant. La relativité générale prédit que la lumière est fortement courbée lorsque les photons suivent le chemin déformé de l’espace-temps. Elle prédit également que lorsque les étoiles à neutrons accélèrent, elles émettent des ondes gravitationnelles qui réduisent leur orbite — ce que l’on appelle « la désintégration orbitale ». Ces deux prédictions théoriques sont à présent confirmées.
L’équipe a en effet constaté que les impulsions radio arrivaient systématiquement plus tard que prévu, et ont calculé que c’était parce qu’elles étaient déviées à un angle de 0,04° en raison de la forte courbure de l’espace-temps autour des deux étoiles. « Jamais auparavant une telle expérience n’avait été menée à une telle courbure de l’espace-temps », souligne Ingrid Stairs, astrophysicienne à l’Université de la Colombie-Britannique, à Vancouver.
Les chercheurs ont également découvert que les pulsars subissaient une désintégration orbitale en raison de l’émission d’ondes gravitationnelles. « Nous avons pu tester une pierre angulaire de la théorie d’Einstein, l’énergie transportée par les ondes gravitationnelles, avec une précision 25 fois meilleure qu’avec le pulsar Hulse-Taylor, lauréat du prix Nobel, et 1000 fois meilleure que ce qui est actuellement possible avec les détecteurs d’ondes gravitationnelles », souligne Kramer.
Au total, les chercheurs ont pu effectuer sept tests de la relativité générale, y compris la façon dont l’orientation de l’orbite du pulsar double (la précession apsidale) change et la façon dont les pulsars « entraînent l’espace-temps » avec eux lorsqu’ils tournent — un phénomène appelé « effet Lense-Thirring ». « Outre les ondes gravitationnelles et la propagation de la lumière, notre précision nous permet également de mesurer l’effet de ‘dilatation du temps’ qui ralentit les horloges dans les champs gravitationnels », ajoute Dick Manchester, astrophysicien de l’agence scientifique australienne (CSIRO).
« C’est le test le plus strict à ce jour de la théorie d’Einstein, et il place la barre à laquelle les futures expériences doivent [opérer] en matière de précision, afin de mettre la relativité générale à l’épreuve avec une quelconque signification », résume Ferdman. Au cours des prochaines années, à mesure que des télescopes plus puissants émergeront, les tests de gravité se feront sans doute encore plus précis et les scientifiques finiront peut-être par trouver une faille dans la théorie de la relativité.