Parce qu’il est la plupart du temps diagnostiqué de façon tardive, alors qu’il est déjà à un stade très avancé, le cancer du pancréas est particulièrement difficile à traiter. Des chercheurs de l’Albert Einstein College of Medicine a trouvé le moyen de rendre les tumeurs plus « détectables » par le système immunitaire. Leur stratégie repose sur la vaccination contre le tétanos, que tout individu est censé recevoir dès l’enfance. Testée sur des souris, leur approche a permis de réduire de 87% les métastases cancéreuses.
Bien que relativement rare (il représente près de 3% des cancers), l’adénocarcinome canalaire pancréatique, ou cancer du pancréas, est l’un des plus meurtriers. Il demeure longtemps sans symptômes, ce qui entraîne un diagnostic tardif dans la plupart des cas. Son traitement est donc particulièrement difficile, car il crée silencieusement de nombreuses métastases (dans le foie, l’abdomen et les poumons). Les tumeurs sont en outre faiblement immunogènes et sont immunosuppressives, empêchant l’activation des lymphocytes T.
« Le problème est que les tumeurs pancréatiques ne sont pas suffisamment ‘étrangères’ pour attirer l’attention du système immunitaire et peuvent généralement supprimer les réponses immunitaires qui se produisent », explique Claudia Gravekamp, professeure agrégée de microbiologie et d’immunologie et co-auteure de l’étude présentant cette nouvelle thérapie. La stratégie proposée consiste à rendre les tumeurs pancréatiques plus vulnérables aux défenses immunitaires de l’organisme et en particulier aux lymphocytes T spécifiques au tétanos — partant du principe que toute le monde est vacciné contre cette maladie.
Infecter les tumeurs par le tétanos
De nombreux cancers sont aujourd’hui traités par immunothérapie, une stratégie qui consiste à aider le système immunitaire à identifier et détruire les cellules tumorales. Des vaccins, des cytokines, ou des anticorps sont utilisés pour « réveiller » le système immunitaire. Cependant, cette approche ne fonctionne pas dans le cas du cancer du pancréas : ces cellules tumorales sont immunosuppressives — ce qui signifie qu’elles développent des mécanismes pour échapper complètement au système immunitaire. Elles cessent notamment d’exprimer certains antigènes immunogènes et produisent des protéines qui inactivent les défenses immunitaires.
Le tétanos est une maladie causée par l’infection d’une plaie ou d’une blessure par des spores de la bactérie Clostridium tetani. La vaccination, à base d’anatoxine tétanique, permet d’être protégé à vie contre cette maladie — à condition d’avoir reçu trois doses durant l’enfance (avant l’âge d’un an) et d’avoir effectué ses doses de rappel. Les personnes vaccinées développent une forte réponse immunitaire si elles sont exposées à la toxine tétanique, la tétanospamine, au cours de leur vie.
Gravekamp et ses collègues ont donc eu l’idée d’infecter les cellules cancéreuses pancréatiques par des bactéries qui libèrent la toxine tétanique, de manière à susciter la même réponse immunitaire. Pour ce faire, ils ont commencé par vacciner des modèles murins de cancer du pancréas contre le tétanos (via le même vaccin antitétanique que celui utilisé pour les humains). Ils ont ensuite intégré le gène codant pour la toxine tétanique à des bactéries de type Listeria monocytogenes non pathogènes — habituellement, cette espèce provoque la listériose. Ces bactéries ont été choisies pour leur grande aptitude à infecter les cellules et à se propager dans les tissus.
Enfin, pour infecter les tumeurs avec la toxine tétanique, ils ont injecté les bactéries génétiquement modifiées directement dans l’abdomen de souris porteuses de tumeurs et préalablement vaccinées. Dès lors que les bactéries ont infecté les cellules tumorales, elles ont produit la toxine tétanique, déclenchant au passage une forte réponse immunitaire. La toxine a permis d’activer les lymphocytes T mémoires spécifiques au tétanos et les a incité à attaquer les cellules tumorales infectées.
La taille et le nombre de tumeurs réduits de 80%
Les chercheurs ont en fait exploité le fait que les tumeurs pancréatiques soient immunosuppressives. Ainsi, seules les bactéries présentes dans le micro-environnement tumoral survivent suffisamment longtemps pour pouvoir infecter les cellules tumorales ; les cellules saines ne sont, quant à elles, pas infectées : les bactéries sont très rapidement et facilement détruites par le système immunitaire. Les souris n’ont montré aucun effet secondaire significatif suite au traitement.
L’équipe précise que la réponse des cellules T a été renforcée par l’ajout de faibles doses de gemcitabine — un médicament qui réduit la suppression immunitaire, utilisé dans le traitement chimiothérapeutique de plusieurs cancers. Cette nouvelle stratégie thérapeutique a montré des résultats très prometteurs : « le traitement a réduit la taille des tumeurs pancréatiques chez les souris de 80% en moyenne et a également réduit de 87% le nombre de métastases, tandis que les animaux traités ont vécu 40% plus longtemps que les animaux non traités », rapportent les chercheurs.
Reste à présent à déterminer si la Listeria génétiquement modifiée peut être injectée en toute sécurité chez l’être humain. En cas de réussite, cette approche thérapeutique pourrait être une immunothérapie utile pour le cancer du pancréas, ainsi que pour d’autres types de cancer, comme le cancer de l’ovaire ou du cerveau, qui restent eux aussi particulièrement difficiles à traiter.