Une étude suggère que Titan, la plus grande lune de Saturne, est entourée d’une couche de glace de méthane de 9,7 kilomètres d’épaisseur, réchauffant la coquille de glace d’eau sous-jacente et induisant de lents mouvements de convection. Cela expliquerait pourquoi les cratères du satellite naturel semblent moins profonds que prévu et s’estompent relativement rapidement. Cette couche pourrait en outre faciliter la détection d’éventuelles traces de vie, car celles-ci seraient transportées vers le haut par les mouvements de convection.
Titan est le seul corps planétaire du système solaire, mis à part la Terre, à disposer à la fois d’une atmosphère et d’un réseau hydrologique liquide comprenant des rivières, des lacs et des mers. Cependant, en raison de sa température extrêmement froide, ce liquide est principalement composé d’hydrocarbures tels que le méthane et l’éthane, tandis que la glace solide en surface est composée d’eau.
Le satellite naturel abrite une population inhabituelle de cratères d’impact. En effet, seuls 90 ont été répertoriés d’après les données de la sonde spatiale Cassini et seulement 12 d’entre eux sont confirmés avec un haut degré de confiance en tant que cratères d’impact. Ils sont répartis de manière inégale à travers le satellite. Il y aurait par exemple 10 % de cratères de moins que prévu que ce à quoi on devrait s’attendre au niveau des régions polaires.
De manière étonnante, ces cratères semblent également moins profonds que ce à quoi l’on pourrait s’attendre avec ce type de lune glacée, tels que Ganymède et Callisto (deux des satellites naturels de Jupiter). « C’est très surprenant car, en nous basant sur d’autres lunes, nous nous attendons à voir beaucoup plus de cratères d’impact à la surface et des cratères beaucoup plus profonds que ce que nous observons sur Titan », explique dans un communiqué Lauren Schurmeier de l’Université de Hawaï. « Nous avons réalisé que quelque chose d’unique à Titan devait les faire devenir moins profonds et disparaître relativement rapidement », ajoute-t-elle en référence à la nouvelle étude, récemment publiée dans le Planetary Science Journal.
Une couche de glace d’eau sous-jacente souple et «chaude»
Pour explorer son hypothèse, l’équipe de la nouvelle étude a effectué des modélisations informatiques de la manière dont la topographie de Titan pourrait « rebondir » après un impact, de sorte que les cratères s’estompent et deviennent rapidement moins profonds. Pour que cela se produise, il faudrait que la surface du satellite soit recouverte d’une couche de clathrate de méthane (ou hydrate de méthane), de la glace d’eau à l’intérieur de laquelle une grande quantité de méthane gazeux est piégée au niveau des structures cristallines. En outre, étant donné que la forme initiale des cratères d’impacts de Titan est inconnue, les chercheurs ont modélisé et comparé deux potentielles profondeurs initiales, basées notamment sur des cratères récents de taille comparable sur une lune glacée de taille similaire, Ganymède.
Ils ont ainsi constaté que pour produire les cratères correspondant à la profondeur relevée par Cassini, la surface de Titan devrait être entourée d’une couche de clathrate de méthane de 5 à 9,7 kilomètres d’épaisseur. « La croûte de clathrate de méthane réchauffe l’intérieur de Titan et provoque une relaxation topographique étonnamment rapide, ce qui entraîne un rétrécissement des cratères à un rythme proche de celui des glaciers chauds à déplacement rapide sur Terre », indique Schurmeier.
Ces résultats suggèrent que l’intérieur de la lune de Saturne est chaud et flexible, plutôt que froid et rigide comme on le pensait auparavant. En effet, le clathrate de méthane est plus isolant et plus solide que la glace d’eau, permettant ainsi d’isoler les couches sous-jacentes et d’y accumuler la chaleur. La glace d’eau située directement en dessous serait ainsi «chaude» et ductile (pouvant se déformer ou s’étirer sans se rompre) et présenterait des mouvements de convection lente. Les experts estiment que ces derniers pourraient contribuer à la migration de biomarqueurs potentiels vers la surface, facilitant ainsi leur potentielle détection.
« Si la vie existe dans l’océan de Titan sous l’épaisse couche de glace, tout signe de vie, tout biomarqueur, devrait être transporté dans la couche de glace de Titan jusqu’à ce que nous puissions y accéder plus facilement ou l’observer lors de futures missions », explique Schurmeier. « Cela est plus susceptible de se produire si la couche de glace de Titan est chaude et connectée », ajoute-t-elle.
Cette couche d’hydrate de méthane pourrait également être à l’origine de la quantité massive de cet hydrocarbure dans l’atmosphère de Titan. Cela pourrait en outre améliorer notre compréhension du cycle du carbone du satellite, de son cycle hydrologique (basé sur le méthane liquide) ainsi que de sa dynamique climatique — et par extension, celle de la Terre.
« Titan est un laboratoire naturel pour étudier la façon dont le méthane, un gaz à effet de serre, se réchauffe et circule dans l’atmosphère », explique l’experte. D’autre part, les hydrates de méthane sont présents dans le pergélisol sibérien et le fond marin arctique et contribuent actuellement à leur réchauffement. Les données de Titan pourraient ainsi fournir de précieuses informations sur les prédictions concernant la perte des pergélisols terrestres. Davantage de données pourront être collectées lors de la prochaine mission Dragonfly, dont le lancement vers le système saturnien est prévu pour 2028. La sonde pourrait atteindre Saturne et Titan d’ici 2034.