Tester la solidité de la théorie de la relativité générale fait partie des objectifs principaux que se donnent les physiciens depuis plusieurs dizaines d’années. Au sein de cette théorie, l’invariance de Lorentz représente une symétrie fondamentale et occupe une place prééminente.
Mettre en évidence une violation de cette symétrie permettrait d’avancer de manière décisive dans certaines théories nécessitant une telle violation. Cependant, un test récent de grande envergure démontre qu’il n’y a toujours aucune trace d’une potentielle violation de l’invariance de Lorentz.
L’invariance de Lorentz peut être comprise ainsi : le résultat d’une expérience locale est indépendant de la direction et de la vitesse du référentiel en chute libre dans lequel elle est pratiquée. Il s’agit d’un principe clé pouvant s’appliquer à tous les systèmes physiques, des particules aux corps célestes les plus massifs. Certaines théories, néanmoins, nécessitent que cette invariance soit violée pour fonctionner ; c’est particulièrement le cas des théories unificatrices (comme la théorie des cordes) et des théories à gravité quantique (comme la gravité quantique à boucles). Jusqu’à maintenant, les tests effectués dans le but d’observer une éventuelle violation de l’invariance de Lorentz se sont tous révélés négatifs.
Deux modèles principaux sont utilisés pour mener ces tests à bien : le modèle post-Newtonien paramétré (PPN) et le modèle formel de la cinquième force (FFF). Bien que satisfaisants, ces modèles présentent des insuffisances, à la fois théoriques et expérimentales, ne permettant pas de pouvoir identifier avec efficacité certaines anomalies ou déviations de la Relativité générale telle que la violation de la symétrie de Lorentz. Pour solutionner ces défauts, Colladay et Kostelecky ont développé un nouveau modèle théorique alliant le Modèle Standard et la Relativité générale, appelé « Modèle Standard Étendu » (SME), offrant les outils nécessaires à une modélisation effective des violations de l’invariance de Lorentz.
En se servant du cadre du SME, des chercheurs de l’Observatoire de Paris et de l’Université de Californie ont élaboré un protocole de test particulier utilisant les systèmes lasers-réflecteurs lunaires (LLR) . En effet, il existe cinq stations à travers le monde émettant périodiquement une impulsion laser vers un des réflecteurs lunaires (installés lors des missions Apollo) ; le réflecteur ciblé renvoie le laser vers la station émettrice permettant ainsi, via la mesure du temps de parcours du laser (approximativement 2.5 secondes), de mesurer avec une précision millimétrique la distance Terre-Lune.
Grâce aux outils offerts par le SME, les chercheurs ont élaboré une éphéméride lunaire parisienne numérique (EPLN). Ce modèle numérique permet, en prenant en compte 76 facteurs différents (position des réflecteurs, barycentre du système Terre-Lune, vecteurs vitesses de déplacement du système, mouvement de la structure interne de la Lune…) de déterminer la position, la rotation, l’orientation et la vitesse de déplacement de la Lune. Marie-Christine explique à ce sujet « pour la première fois, une modélisation complète du système Terre-Lune a été élaboré dans le cadre du SME ». En outre, le logiciel (POLAC) utilisé, entre autre, pour intégrer le SME à l’EPLN a été spécialement modifié pour identifier les altérations que subiraient un rayon lumineux sous l’effet d’une violation de l’invariance de Lorentz.
À travers ces outils, les chercheurs ont analysé les données relatives à 20’721 émissions laser provenant des LLR entre 1969 et 2013. Bien que certaines données aient montré une corrélation spécifique avec certains coefficients (paramètres prédictifs) du SME, aucune violation de l’invariance de Lorentz n’a été mise en évidence. En d’autres mots, les données ne montrent aucune dépendance des résultats à l’orientation ou la vitesse du référentiel local de mesure.
Avec l’analyse de données recueillies sur plus de 44 ans, ce test est le plus grand et le plus précis ayant été mené. Les chercheurs prévoient d’utiliser d’autres données astronomiques pour continuer de chercher d’éventuelles violations. Pour finir, Marie-Christine Angonin ajoute « nous souhaiterions combiner les données du LLR avec des données relatives à des mesures satellitaires et à l’exploration lunaire, et prendre en compte des modèles théoriques plus évolués dans lesquels des invariances de Lorentz apparaissent lors du couplage de la matière à la gravité ».