Une équipe de biologistes a mis au point un traceur GPS, dont l’aspect est similaire à celui d’un œuf de tortue. L’objectif ? Identifier et faire condamner les braconniers qui sillonnent les plages pour piller les nids. Les œufs de tortues marines font en effet l’objet d’un important trafic : ce sont des denrées très prisées dans certaines régions d’Asie et d’Amérique latine, notamment au Costa Rica, où a été testé ce leurre.
Baptisé l’InvestEGGator, ce petit appareil imprimé en 3D ressemble à s’y méprendre à un véritable œuf de tortue. Placé au sein d’un nid, il est ainsi subtilisé avec l’ensemble des œufs, ce qui permet de suivre à la trace les déplacements du voleur, même à longue distance. L’équipe à l’origine du projet, dirigée par Helen Pheasey, biologiste à l’Université du Kent, a partagé ses résultats dans la revue Current Biology.
Un trafic essentiellement local
Tout comme les vrais œufs de tortue marine, le leurre conçu par les biologistes ressemble beaucoup à une balle de ping-pong, mais un peu spongieuse. Le matériau utilisé est du NinjaFlex, un matériau flexible, formulé à partir d’élastomère thermoplastique, utilisé pour l’impression 3D. Il permet de fabriquer des objets aux propriétés élastiques. « Après de nombreux essais, nous avons pu arriver à quelque chose qui ressemble vraiment à un œuf de tortue », explique Kim Williams-Guillen, scientifique de la conservation à Paso Pacifico et co-auteure de l’article. Étant donné que les braconniers agissent surtout la nuit, ils se fient principalement au toucher lorsqu’ils vident les nids et tombent ainsi dans le piège.
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Une fois le faux œuf imprimé en une seule pièce, il ne reste qu’à l’inciser pour y introduire l’émetteur, puis le recoller. Les concepteurs de l’InvestEGGator se sont également assurés au préalable que leur appareil ne perturberait en rien les vrais œufs.
L’utilisation de ce traceur a déjà permis de récolter plusieurs informations sur le commerce illégal d’œufs de tortue. Il s’avère que la plupart des braconniers travaillent à leur compte et démarche leur « clientèle » par leurs propres moyens : « Il n’y a pas de réseau du crime organisé, il n’y a pas d’acteurs principaux », déclare Pheasey. Les pilleurs de nid agissent seuls et vite : ils vident un nid, puis vendent son contenu le plus rapidement possible. Ce commerce illégal demeure donc local, ce qui est plutôt encourageant du point de vue de l’équipe ; en effet, il sera ainsi plus aisé de mettre en place une campagne de sensibilisation des consommateurs pour mettre fin au trafic.
Lorsqu’un braconnier emporte l’InvestEGGator avec son butin, l’appareil communique régulièrement avec les tours de téléphonie cellulaire ; il est programmé pour émettre un signal une fois par heure, ce qui permet aux chercheurs de localiser précisément l’individu. Si la plupart des œufs sont vendus localement, l’équipe a pu constater que leur appareil permettait aussi de suivre un transport longue distance : ils ont notamment enregistré un trajet de 137 kilomètres, reliant la plage au centre du Costa Rica.
Intriguée par ce trajet particulier, Pheasey a identifié précisément la position du leurre à l’aide de Google Maps. Il était situé derrière un supermarché, a priori dans une ruelle ou sur un quai de chargement, prêt à être transféré. Une position peu banale, qui a suscité les soupçons de l’équipe. Pheasey a pu confirmer ces données en se rendant directement sur place. Ce faux œuf a finalement terminé son voyage chez un particulier, preuve que le supermarché identifié servait bien de point de distribution illicite.
Une menace parmi tant d’autres
Quid des consommateurs ? Fatalement, il peut arriver que certaines personnes tombent nez à nez avec un leurre électronique. L’équipe a de cette façon perdu le signal de l’un des InvestEGGator, à une quarantaine de kilomètres du nid où il avait été enterré. Quelques jours plus tard, un autre projet local de protection des tortues leur a transmis des photos dudit appareil : un consommateur s’était inquiété de la présence d’électronique dans son mets, puis avait sollicité cette association pour en connaître la raison. Pheasey déplore que cette personne n’ait montré en revanche aucune inquiétude vis-à-vis de l’achat qu’elle venait d’effectuer…
À savoir qu’au Costa Rica il n’est pas illégal d’acheter des œufs de tortue ; il est seulement illégal de piller les nids pour en revendre les œufs. La nuance est subtile. La pandémie de COVID-19, qui a mis à mal l’industrie de l’écotourisme, a malheureusement entraîné l’augmentation de ces actes de braconnage. « Des centaines de millions de personnes qui vivaient grâce à la faune, qui l’appréciaient parce qu’elle attirait des touristes et mettait de la nourriture sur la table, n’ont plus cela », remarque Jeffrey Parrish, directeur général de l’organisation Protect Oceans, Lands and Water. Par désespoir, ces individus se tournent vers la récolte d’œufs de tortue.
Ce n’est malheureusement que l’une des nombreuses menaces qui pèsent sur les tortues marines. Outre la pollution plastique des océans, elles doivent aussi faire face à l’augmentation des températures : le sable est parfois si chaud que les jeunes tortues qui s’y développent n’y survivent pas. En outre, le sexe des tortues étant déterminé par la température à laquelle les œufs se développent (plus chaud pour les femelles, plus frais pour mâles), les ratios de chaque sexe évoluent et les chances de reproduction s’affaiblissent.
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Helen Pheasey souligne par ailleurs que la destruction des plages laisse peu d’espace aux tortues pour pondre leurs œufs. « Il y a des périodes pendant la saison de nidification où il n’y a littéralement pas de plage, parce que l’eau est si haute qu’il n’y a aucun endroit où les tortues peuvent nicher ». Par conséquent, l’ensemble des tortues viennent nicher sur une zone réduite, ce qui représente deux dangers pour l’animal : d’une part, la promiscuité favorise la transmission des maladies au sein de la population et d’autre part, les œufs de tortues sont plus facilement accessibles aux prédateurs, animaux et humains.
Les faux œufs se révèlent en tout cas prometteurs pour lutter contre le trafic. Ces leurres permettent d’identifier et de mieux comprendre les itinéraires des braconniers. De plus, la technologie utilisée est simplissime, à base d’électronique grand public et peu coûteuse. Elle peut donc être facilement déployée ailleurs dans le monde ; selon Williams-Guillen, le système serait actuellement testé en Guyane.