Globalement, le diabète touche plus de 420 millions de personnes dont, en moyenne, 10% avec un diabète de type 1 et 90% avec un diabète de type 2. En 2019, le diabète a été la cause directe de 1,5 million de décès dans le monde. Souvent diagnostiqué tardivement, le diabète de type 2 a de graves conséquences à long terme, tel que des atteintes de la rétine induisant une cécité, des insuffisances rénales ou encore des problèmes de cicatrisation allant jusqu’à l’amputation. Récemment, une équipe de chercheurs américains a montré le potentiel de la médecine bioélectronique comme alternative ou complément aux médicaments dans le traitement des maladies chroniques, et notamment le diabète de type 2.
Les personnes atteintes de diabète de type 2 sécrètent de l’insuline, mais cette hormone régule avec moins d’efficacité le taux de sucre dans leur sang — la glycémie. Il reste anormalement élevé après un repas, ce qui est la définition du diabète. Petit à petit, le pancréas s’épuise à sécréter des quantités croissantes d’insuline. Également appelé diabète gras, ou diabète non insulinodépendant, le diabète de type 2 touche surtout les personnes en surpoids ou obèses, sédentaires, le plus souvent après 45 ans. Il représente 90% des cas de diabète après 60 ans.
Une étude de l’INSERM (Institut national de la santé et de la recherche médicale) estime que 5% de la population française (environ 2 millions de personnes) souffre de diabète de type 2. Le nombre de cas de diabète de type 2 diagnostiqué augmente de plus de 5% chaque année. Une part de l’augmentation est liée au vieillissement de la population. Un autre facteur est une hygiène de vie délétère, les déséquilibres nutritionnels et la sédentarité induisant une augmentation générale du poids et du nombre de personnes atteintes d’obésité. C’est ainsi que, dans les pays occidentaux, l’âge moyen d’apparition du diabète de type 2 a diminué : des cas d’adolescents atteints de cette maladie ont même été signalés aux États-Unis. Autre sujet d’alerte : l’augmentation récente de diabètes « médicamenteux », associés en particulier à certains neuroleptiques.
Malheureusement, on ne guérit pas du diabète. Le traitement de référence du diabète de type 2 est l’optimisation des habitudes de vie : une perte de poids si nécessaire, une activité physique régulière et une alimentation équilibrée peuvent être suffisants pour contrôler la glycémie dans un premier temps. En seconde intention, des antidiabétiques oraux et/ou injectables sont prescrits pour contrôler la glycémie. Lorsque le diabète évolue, il peut nécessiter la mise en place d’un traitement par insuline. Mais il existe des risques quant à l’oubli ou l’excès de prise du traitement induisant respectivement une hyperglycémie ou une hypoglycémie, les deux étant potentiellement mortels.
De surcroît, chez l’adulte, le diabète multiplie par deux ou par trois le risque d’infarctus du myocarde et d’accident vasculaire cérébral. Chaque année, parmi les 10 000 diabétiques hospitalisés pour un infarctus du myocarde, 1000 décèderont. Associée à une diminution du débit sanguin, la neuropathie (les lésions nerveuses) diabétique (qui touche surtout les extrémités) augmente la probabilité d’apparition d’ulcères, d’infections et, au bout du compte, d’amputations. D’ailleurs, chaque année, on n’en dénombre pas moins de 9000. De plus, le diabète est l’une des principales causes d’insuffisance rénale : chaque année, 3000 diabétiques démarrent une dialyse ou subissent un greffe de rein, selon l’INSERM.
C’est dans ce contexte qu’une équipe menée par GE Research — une branche de General Electric comprenant des chercheurs de la Yale School of Medicine, de l’UCLA et des Feinstein Institutes for Medical Research — suggère que le diabète de type 2 pourrait être traité sans médicament, ou du moins que son apparition pourrait être prévenue et inversée grâce à la bioélectronique. Leur découverte a été publiée dans la revue Nature Biomedical Engineering.
La bioélectronique au service des nerfs
Revenons sur ce que sont les systèmes bioélectroniques. Ils font référence aux innovations dans les interfaces dites « électronique-électromagnétique-vivant ». Ces dernières ont la capacité de tirer profit de signaux électriques — par exemple grâce à des implants — afin de stimuler électriquement les nerfs du système nerveux périphérique. Elles sont prometteuses pour le traitement de certaines maladies chroniques telles que l’arthrite, le diabète ou l’asthme. Les résultats rapportés dans cette nouvelle étude représentent une étape importante dans le domaine de la médecine bioélectronique.
En effet, ce nouveau traitement non invasif module le système nerveux du corps en concentrant des ondes sonores à haute fréquence sur des nerfs sensoriels spécifiques, dans le foie. Les ultrasons sont connus pour stimuler des voies neuronales particulières dans les organes (qui peuvent être associés à diverses maladies). Les chercheurs ont découvert que leur méthode de traitement utilisant les ultrasons prévenait ou inversait le diabète de type 2 dans trois modèles précliniques différents : les souris, les rats et les porcs. La technologie est appelée « stimulation par ultrasons focalisés périphériques » (pFUS).
Dans un premier temps, les chercheurs de l’UCLA ont conçu un échafaudage 3D dans le but de développer et cultiver des neurones utilisés dans les expériences de laboratoire de l’étude. Il se compose d’un hydrogel comportant des pores microscopiques dans lesquels les neurones résident et se développent, offrant un espace suffisant pour de nombreuses dendrites et axones qui relient les neurones ensemble. Les chercheurs ont ajusté la rigidité de l’échafaudage à des conditions optimales pour les neurones et ont ajouté de petites chaînes d’acides aminés (peptides) auxquels les cellules nerveuses peuvent adhérer.
C’est ainsi que des expériences in vitro ont montré que les neurones peuvent être activés et envoyer des signaux lorsqu’ils sont stimulés par des ultrasons, en raison de la présence de capteurs à la surface des cellules. Ces capteurs réagissent aux changements de pression induits par les ultrasons.
Dino Di Carlo, professeur de bio-ingénierie et titulaire de la chaire Armond de l’UCLA, explique dans un communiqué : « Nos études indiquent que les ultrasons focalisés activent les neurones via des canaux ioniques sensibles aux forces mécaniques. Il s’agit d’une toute nouvelle voie pour s’interfacer avec notre corps et traiter les maladies ».
Dans un second temps, des expériences in vivo ont été réalisées sur trois modèles animaux précliniques. Plus précisément, les chercheurs expliquent dans un briefing de recherche publié sur Nature : « Nous avons utilisé cette technique pour explorer la stimulation d’une zone du foie appelée la porte hépatique. Cette région contient le plexus nerveux hépatoportal, qui communique des informations sur l’état du glucose et des nutriments au cerveau, mais a été difficile à étudier, car ses structures nerveuses sont trop petites pour être stimulées séparément avec des électrodes implantées ». L’étude indique que de courtes poussées ciblées de pFUS dans cette zone du foie ont permis d’inverser l’apparition de l’hyperglycémie.
Les ultrasons, espoir de traitement encore à l’essai
Comme le souligne dans un communiqué Raimund Herzog, un endocrinologue de la Yale School of Medicine travaillant sur le projet : « Malheureusement, il n’y a actuellement que très peu de médicaments qui abaissent les niveaux d’insuline. Si nos essais cliniques en cours confirment la promesse des études précliniques rapportées dans cet article, et que les ultrasons peuvent être utilisés pour abaisser à la fois les niveaux d’insuline et de glucose, la neuromodulation par ultrasons représenterait un ajout passionnant et entièrement nouveau aux options de traitement actuelles pour nos patients ».
Effectivement, l’étude a révélé que seulement trois minutes d’ultrasons focalisés chaque jour étaient suffisantes pour maintenir une glycémie normale chez la souris diabétique. Christopher Puleo, ingénieur biomédical chez GE Research qui a codirigé les études sur le diabète et auteur correspondant de l’article de Nature Biomedical Engineering, déclare : « Nous avons montré que les ultrasons peuvent être utilisés pour prévenir ou inverser le diabète dans ces études précliniques. Nous sommes maintenant au milieu d’essais de faisabilité sur l’homme avec un groupe de sujets diabétiques de type 2, ce qui amène notre travail vers une traduction clinique ». L’équipe de GE Research ajoute également que d’autres études précliniques ont été menées pour explorer différentes doses et durées d’ultrasons.
Cependant, même si des preuves de l’efficacité de ce traitement chez l’Homme sont apportées, des obstacles techniques entravent un déploiement clinique à l’heure actuelle. Les outils d’échographie actuels utilisés pour effectuer ce type de technique pFUS nécessitent des techniciens formés. Les chercheurs estiment que la technologie existe pour simplifier et automatiser ces systèmes pour une future utilisation par les patients à domicile. Néanmoins, les éditeurs de la revue Nature Biomedical Engineering, dans un commentaire accompagnant la nouvelle publication, tempèrent l’enthousiasme que suscite cette nouvelle technique. Certes, cette innovation pourrait conduire à un nouveau type de traitement du diabète et souligne la pertinence thérapeutique des voies nerveuses cerveau-foie, mais il reste beaucoup à faire avant d’y arriver, ce qui nécessitera de grands investissements.
Finalement, en attendant cette prouesse technique, rappelons que, selon l’OMS, des mesures simples modifiant le mode de vie permettraient d’éviter ou de retarder la survenue du diabète de type 2, telles qu’une alimentation saine, une activité physique régulière et un poids santé maintenu.