C’est une première en oncologie : une douzaine de patients atteints d’un adénocarcinome rectal de stade II ou III, traités par immunothérapie, ont tous vu leurs tumeurs disparaître après six mois de traitement. Aucune chirurgie, radiothérapie ou chimiothérapie complémentaire n’a été nécessaire. Non seulement l’approche est efficace, mais elle permet d’éliminer tous les effets secondaires liés aux traitements conventionnels, qui nuisent à la qualité de vie des patients.
Le cancer du rectum localement avancé est généralement traité par chimiothérapie et radiothérapie, suivies d’une résection chirurgicale du rectum ; la plupart des patients souffrent ensuite de dysfonctionnements intestinaux et vésicaux, d’incontinence, d’infertilité et/ou de dysfonctionnements sexuels. Les traitements pré-chirurgie visent à réduire les tumeurs au maximum avant de les retirer. Une équipe du Memorial Sloan Kettering (MSK) Cancer Center, à New York, a entrepris d’utiliser l’immunothérapie pour faciliter davantage la chirurgie.
Les chercheurs ont ciblé en particulier les tumeurs du rectum avec une constitution génétique spécifique connue sous le nom de « mismatch repair-deficient » (MMRd) ou « déficience du système de réparation des mésappariements des bases » — une mutation génétique qui concerne entre 5 et 10% des patients atteints d’un cancer du rectum. « Une tumeur MMRd développe un défaut dans sa capacité à réparer certains types de mutations qui se produisent dans les cellules. Lorsque ces mutations s’accumulent dans la tumeur, elles stimulent le système immunitaire, qui attaque les cellules cancéreuses porteuses de mutations », explique le Dr Luis Diaz, qui dirige la division Solid Tumor Oncology du MSK.
Une nouvelle thérapie « immunoablative »
Les cellules immunitaires sont cependant dotées d’un « point de contrôle », une protéine nommée PD1, qui les empêchent de s’attaquer aux cellules saines de l’organisme. Grâce à un ligand spécifique (PD-L1) exprimé à leur surface, les cellules cancéreuses ont la capacité de déclencher ces points de contrôle afin de pouvoir continuer à se développer tranquillement dans l’organisme. La liaison de la protéine PD1 au ligand tumoral bloque complètement l’action du système immunitaire.
L’immunothérapie permet de lever cette barrière : plusieurs anticorps monoclonaux — appelés inhibiteurs de point de contrôle — permettent d’empêcher la liaison de PD-L1 au récepteur des cellules immunitaires, et stimulent l’action de ces dernières. « Lorsque les freins sont levés sur les cellules immunitaires, les cellules MMRd semblent particulièrement étranges, car elles ont beaucoup de mutations. Ainsi, les cellules immunitaires attaquent avec beaucoup plus de force », explique le Dr Andrea Cercek.
L’un de ces anticorps monoclonaux, le dostarlimab, s’était déjà montré particulièrement efficace dans le cas de cancers colorectaux de type MMRd métastatiques. L’équipe du Dr Diaz a donc entrepris de traiter ce cancer au plus tôt, avant qu’il ne produise des métastases. Le dostarlimab en monothérapie a donc été administré toutes les 3 semaines pendant 6 mois chez des patients atteints d’un adénocarcinome rectal de stade II ou III de type MMRd. Le traitement devait être suivi d’une chimioradiothérapie et d’une chirurgie standard, à moins que le dostarlimab n’entraîne une réponse clinique complète.
Parmi les 12 patients ayant terminé leur traitement, la totalité ne montrait plus aucun signe de tumeur. Aucun n’a eu besoin d’une chimioradiothérapie ni d’une intervention chirurgicale complémentaire — le Dr Diaz a d’ailleurs qualifié cette thérapie d’« immunoablative ». Malgré une surveillance attentive des patients (par IRM, endoscopie ou autres méthodes), aucun cas de progression ou de récidive n’a été rapporté dans les 6 à 25 mois après l’issue du traitement. Ces résultats exceptionnels ont même surpris les Drs Cercek et Diaz.
Une approche qui pourrait être étendue à d’autres cancers
« L’immunothérapie a réduit les tumeurs beaucoup plus rapidement que prévu. […] Les patients sont venus à mon cabinet après seulement deux ou trois traitements et m’ont dit : “C’est incroyable. Je me sens à nouveau normal” », se souvient le Dr Cercek. La spécialiste se réjouit par ailleurs que chaque patient n’ait finalement eu besoin que d’une immunothérapie. « Ils ont préservé leur fonction intestinale, leur fonction vésicale, leur fonction sexuelle, leur fertilité. Les femmes ont conservé leur utérus et leurs ovaires. C’est remarquable », souligne-t-elle.
Sascha Roth, âgée de 38 ans, est la première patiente à avoir bénéficié du traitement par dostarlimab. Deux ans après le début de l’essai, elle ne montre aucun signe de récidive et continue de mener une vie normale. Un suivi plus long est toutefois nécessaire pour évaluer la durée de la réponse. À noter également que le dostarlimab est connu pour entraîner certains effets indésirables graves (l’une des raisons pour lesquelles la Haute autorité de santé a déclaré que cet anticorps n’avait pas sa place dans la stratégie thérapeutique). Cependant, dans cette étude, « aucun événement indésirable de grade 3 ou plus n’a été signalé », rapportent les chercheurs.
Alors que le cancer colorectal, et en particulier le cancer rectal, touche de plus en plus de jeunes personnes (de moins de 50 ans), l’équipe estime que cette immunothérapie pourrait constituer une option de traitement intéressante. En outre, cette approche s’avère plus efficace que les traitements conventionnels pour les personnes atteintes du syndrome de Lynch (une maladie génétique responsable d’une augmentation du risque de développer certains cancers).
Le Dr Diaz et ses collègues espèrent que ce traitement pourra être appliqué à d’autres cancers, dont les tumeurs peuvent également porter la mutation MMRd. Ils recrutent ainsi des patients atteints de cancers gastriques, de la prostate et du pancréas — des cancers pour lesquels les traitements habituels occasionnent aussi des effets secondaires nuisant largement à la qualité de vie. Parallèlement, ils continuent leur essai clinique pour le traitement du cancer rectal.