L’utilisation de psychédéliques est un domaine d’étude croissant dans le traitement des troubles mentaux tels que la dépression. Ces dernières années, cet ester d’acide phosphorique est au centre de l’attention, avec un engouement généralisé au sein de la population concernée. Bonne nouvelle, les résultats de ce qui n’est autre que l’essai clinique le plus vaste à ce jour d’utilisation de la psilocybine pour le traitement de la dépression, annoncés hier, sont prometteurs : la thérapie montre des effets bénéfiques sur le long terme chez de nombreux patients.
Les médecins appellent cependant à la prudence quant à leur interprétation : ils précisent que bien que les effets bénéfiques d’un traitement adéquat avec la substance psychédélique puissent être spectaculaires chez certaines personnes, il ne se montre pas efficace chez tout le monde — plus de 60% des patients de l’étude n’ont pas eu de bénéfices significatifs.
L’étude en question a porté sur 233 personnes souffrant de dépression résistante aux traitements actuels, car dans un premier temps, ce traitement alternatif s’adresserait surtout aux personnes pour lesquelles ces derniers sont inefficaces. Pour être éligibles, les candidats devaient avoir essayé au moins deux autres traitements sans succès.
Nous rappelons que la psilocybine est tout de même le principe actif — connu pour être particulièrement puissant — de certains champignons hallucinogènes. Compass Pathways, une société britannique qui détient des brevets pour deux formulations synthétiques de la substance, a dirigé les essais.
Des effets bénéfiques sur le long terme
Pour l’étude — randomisée et en double aveugle, les participants ont reçu au hasard 1, 10 ou 25 milligrammes d’une forme synthétique Compass de psilocybine connue sous le nom de COMP360. La dose d’un milligramme est considérée comme si faible qu’elle constitue effectivement un placebo, mais cela signifie que tous les participants savaient qu’ils recevraient de la psilocybine, ce qui laissait présager un certain bénéfice. Cependant, ce potentiel biais a été considéré, dans une certaine mesure, dans l’interprétation des résultats.
Tous ont reçu un soutien psychologique avant, pendant et après une seule séance de dosage. Dans le groupe des 25 milligrammes, 36,7% des patients ont vu leur score de gravité de la dépression s’améliorer trois semaines après l’administration de la psilocybine, et 24,1% étaient toujours satisfaits après 12 semaines.
Ces chiffres peuvent sembler faibles en considérant que dans un autre essai dont les résultats ont été publiés plus tôt cette année, 70% des patients ayant reçu un traitement à la psilocybine ont montré une réponse positive après six semaines. Mais l’essai en question était moins vaste et comportait deux doses de la drogue (au lieu d’une dose unique dans cette nouvelle étude).
« Il existe une tendance générale en science selon laquelle les premières petites études montrent des effets énormes, et au fur et à mesure que vous étudiez plus, ils deviennent de moins en moins importants. L’espoir que nous avons tous est que cela ne disparaisse pas », déclare Allan Young du King’s College de Londres, impliqué dans l’étude Compass. « Nous devons réaliser beaucoup plus d’études sur la durée de l’effet et voir comment cela se passe en clinique, mais le fait qu’un groupe montre un bénéfice persistant jusqu’à 12 semaines, à mon sens, est vraiment encourageant ».
Ce qui est certain par contre, c’est que le contraste avec les antidépresseurs classiques est important. En effet, ces derniers impliquant la prise quotidienne de pilules pendant plusieurs semaines avant de voir un effet, et si un patient cesse le traitement, il risque généralement la rechute. Les psychédéliques offrent une toute autre approche : les chercheurs suggèrent notamment un traitement unique, permettant d’obtenir un effet bénéfique pendant des semaines ou des mois, avant de revenir sur des traitements d’appoint occasionnels si nécessaire.
Psilocybine : une autorisation « logique » après la kétamine ?
La dépression peut toucher n’importe qui, n’importe quand. Pour preuve, environ 264 millions de personnes dans le monde sont concernées, dont beaucoup ne bénéficient pas des traitements existants. Il existe donc un réel besoin de thérapies alternatives.
Une forme de kétamine, un médicament aux effets psychédéliques mais au mode d’action différent, a déjà été approuvée par la Food and Drug Administration (FDA) américaine. La psilocybine, considérée comme plus puissante, est soutenue par un nombre croissant de sociétés pharmaceutiques et d’organisations à but non lucratif. Elle semble donc logiquement pouvoir suivre cette lancée.
Un essai mené par l’Usona Institute aux États-Unis sur 100 personnes souffrant de troubles dépressifs majeurs devrait donner ses résultats l’année prochaine. Compass prévoit d’entamer la phase finale de ses tests cliniques l’année prochaine, et la FDA l’a déjà désignée comme une « thérapie révolutionnaire », ce qui pourrait accélérer le processus d’approbation.
Tous ces développements suggèrent que les psychédéliques pourraient bientôt être considérés comme des traitements crédibles de la santé mentale, du moins pour certains. Certains experts se montrent enthousiastes mais prudents, précisant qu’il ne faut pour l’instant pas faire des promesses précipitées, étant donné que ce type de traitement ne fonctionne pas chez tout le monde. Son entrée progressive dans la liste des traitements disponibles cependant, se veut prometteuse et apportera probablement une contribution importante à la psychiatrie.