En utilisant des sursauts radio rapides (FRB), de brefs et très lumineux flashs, une équipe d’astronomes a réussi à localiser et à quantifier la « matière manquante » de l’Univers. Selon leurs observations, la grande majorité de la matière ordinaire se logerait dans le milieu intergalactique, tandis qu’une fraction plus réduite serait répartie dans les halos galactiques ou les étoiles. Ces résultats apportent un éclairage décisif sur la distribution de la matière baryonique dans le cosmos.
La matière noire, composante prédominante de l’Univers, demeure indétectable par la lumière et ne se manifeste qu’à travers ses effets gravitationnels. En revanche, la matière dite ordinaire – ou « matière baryonique » – représente environ 16 % de la matière totale de l’Univers. Constituée principalement de protons, elle émet des rayonnements électromagnétiques, ce qui permet aux instruments astronomiques de la repérer.
Cependant, environ la moitié d’entre elle n’a jusqu’à présent pas pu être quantifiée. Dispersée en particules extrêmement ténues dans le vide intergalactique, cette matière baryonique manquante avait jusqu’ici échappé à toute localisation précise.
« Le problème des baryons manquants, vieux de plusieurs décennies, n’a jamais porté sur l’existence de cette matière », explique dans un billet de blog Liam Connor, astronome au Centre d’astrophysique Harvard & Smithsonian (CfA). « La question a toujours été : où est-elle ? Maintenant, grâce aux FRB, nous le savons : les trois quarts de cette matière flottent entre les galaxies de la toile cosmique », ajoute-t-il, en référence à l’étude parue dans Nature Astronomy.
Les FRB : la clé d’une quantification précise de la matière dans l’Univers
Les FRB sont des impulsions radio extrêmement brèves, durant généralement quelques millisecondes. Dans ce laps de temps minuscule, ils peuvent émettre autant d’énergie que le Soleil en 30 ans. Leur fugacité rend toutefois leur origine difficile à retracer.
Néanmoins, ces signaux peuvent servir à détecter la matière intergalactique, y compris celle qui reste indécelable par d’autres moyens, en observant la manière dont la lumière des FRB interagit avec le milieu qu’elle traverse. « Les FRB agissent comme des lampes de poche cosmiques », illustre Connor, également professeur adjoint à Harvard. « Ils brillent à travers le brouillard du milieu intergalactique, et en mesurant précisément le ralentissement de la lumière, nous pouvons évaluer ce brouillard, même s’il est trop faible pour être visible », précise-t-il.
Concrètement, la lumière d’un FRB, en se propageant vers la Terre, se disperse selon les longueurs d’onde, à la manière d’un prisme décomposant la lumière blanche. Le degré de cette dispersion varie en fonction de la quantité de matière rencontrée en chemin.
« C’est comme si nous voyions l’ombre de tous les baryons, avec les FRB en contre-jour », explique dans un article de blog de Caltech Vikram Ravi, professeur adjoint d’astronomie et co-auteur de l’étude. « Si vous voyez une personne devant vous, vous pouvez en apprendre beaucoup sur elle. Mais si vous ne voyez que son ombre, vous savez quand même qu’elle est là et quelle est sa taille approximative », poursuit-il.
76% de la matière ordinaire dans le milieu intergalactique
Toutefois, si plusieurs milliers de FRB ont été observés à ce jour, seule une fraction d’entre eux est exploitable pour la détection de la matière baryonique manquante. Encore faut-il que leur provenance soit précisément localisée. À ce jour, une centaine de ces signaux ont pu être reliés à des galaxies bien identifiées.
Pour mener leur analyse, Connor et son équipe ont sélectionné 69 FRB situés entre 11,4 millions et 9,1 milliards d’années-lumière. Parmi eux, le FRB 20230521B, en provenance d’une source distante de 9,1 milliards d’années-lumière, constitue à ce jour le FRB le plus éloigné jamais détecté. Les galaxies d’origine de 39 de ces signaux ont été localisées grâce au réseau de 110 radiotélescopes du Deep Synoptic Array-110 (DS-110), rattaché à l’observatoire d’Owen Valley (OVRO) de Caltech, en Californie.
La mesure de leur distance a quant à elle été effectuée à l’aide des télescopes des observatoires WM Keck (Hawaï) et Palomar (près de San Diego). Les 30 autres FRB ont été identifiés grâce à d’autres instruments répartis dans le monde, notamment le Square Kilometer Array Pathfinder en Australie.
L’analyse des données a permis d’estimer que 76 % de la matière baryonique de l’Univers est localisée dans le milieu intergalactique, 15 % dans les halos de galaxies, et une faible part dans les étoiles ou dans les gaz galactiques froids. Une répartition qui confirme les prédictions des modèles cosmologiques, mais qui, jusqu’ici, n’avait pu être validée par des observations directes.
Cette confirmation ouvre la voie à une compréhension plus fine de plusieurs phénomènes astrophysiques, tels que la formation des galaxies ou la répartition de la matière dans l’Univers. « Les baryons sont attirés par les galaxies sous l’effet de la gravité, mais les trous noirs supermassifs et les explosions d’étoiles peuvent les expulser — tel un régulateur cosmique qui empêche un échauffement excessif », analyse Connor dans l’article du CfA. « Nos résultats montrent que cette rétroaction est efficace, projetant le gaz hors des galaxies vers le milieu intergalactique », conclut-il.
Ces avancées pourraient également contribuer à affiner la détermination de la masse des neutrinos, liée à la façon dont les baryons s’agrègent dans le cosmos. Bien que le modèle standard de la physique ait d’abord supposé des neutrinos sans masse, la mise en évidence de leurs oscillations indique aujourd’hui qu’ils en possèdent une, aussi infime soit-elle.