La pandémie s’est accompagnée d’une nette augmentation de la pratique du travail à domicile dans les entreprises — du moins, pour les postes pouvant être occupés à distance. Mais plusieurs employeurs étaient (et sont encore) récalcitrants à l’idée d’offrir cette possibilité, craignant un certain « relâchement » de leurs collaborateurs. Une étude récente, menée par des chercheurs de l’École de santé publique de l’Université du Texas A&M, va peut-être finir par les convaincre : selon leurs données, le travail à distance n’a pas d’impact négatif sur la productivité des employés.
Ce n’est pas la pandémie, mais l’ouragan Harvey qui a servi de contexte à cette étude ; entre le 17 août et le 2 septembre 2017, cet ouragan de catégorie 4 avait dévasté la région de Houston, affectant plus de 13 millions de personnes au Texas et en Louisiane et causant environ 160 milliards de dollars de dommages. Suite aux inondations, plusieurs entreprises ont été contraintes de fermer leurs portes ; d’autres ont encouragé le travail à distance pour sauver leur activité. Des chercheurs ont saisi cette occasion pour évaluer l’impact de ce changement sur la productivité des employés.
L’équipe s’est concentrée sur une grande société pétrolière et gazière de Houston, employant plus de 15 000 employés dans la région. Après le passage de l’ouragan, cette entreprise a été forcée de fermer son siège social pendant sept mois — de nombreux employés ont été amenés à travailler depuis leur domicile (ou autre lieu disponible) pendant toute la période, grâce à des outils informatiques de travail à distance. Au 1er avril 2018, tous les espaces de bureaux étaient ouverts et les employés ont pu réintégrer les lieux. Les chercheurs ont examiné la productivité de 264 employés sélectionnés au hasard, avant, pendant et après le passage de l’ouragan.
Une productivité rapidement revenue à la normale
Avant la catastrophe, l’entreprise avait installé le logiciel RSIGuard® sur les ordinateurs des employés, qui étaient utilisés sur place ou à distance. Ce logiciel est conçu pour réduire le risque de blessures musculo-squelettiques (dus la plupart du temps à de mauvaises postures) à partir de données collectées sur les performances liées à l’usage de l’ordinateur (les heures d’utilisation, le nombre de mots tapés par jour, le nombre de clics de souris, etc.) ; il incite par exemple les employés à faire des pauses régulières et à pratiquer quelques exercices d’étirement.
Les chercheurs ont pu utiliser ces mêmes données pour évaluer la productivité des employés à différentes périodes. Plus précisément, leur étude repose sur cinq mesures quotidiennes enregistrées par le logiciel : le nombre total d’heures travaillées, le temps de travail actif total, l’utilisation du clavier par minute active, l’utilisation de la souris par minute active, le nombre de mots saisis par heure et le nombre d’erreurs typographiques par mot saisi.
Bien que le temps total d’utilisation active de l’ordinateur ait diminué pendant l’ouragan, les données révèlent que presque tous les employés de l’étude ont retrouvé le même niveau de production qu’avant l’ouragan, et ce, avant leur retour complet au bureau. En d’autres termes, la délocalisation des employés s’est accompagnée d’une période transitoire d’activité réduite, mais la productivité est rapidement revenue à la normale. « C’est un message énorme en ce moment pour les employeurs, car nous avons des débats nationaux sur la question de savoir si les employés devraient ou non pouvoir travailler à distance ou selon un horaire hybride », souligne Mark Benden, auteur correspondant de l’étude.
Veiller à la santé des employés à distance
Parmi les salariés considérés dans l’étude, 68% travaillaient dans l’ingénierie, 9% dans la finance et le commerce et 23% dans les RH et les opérations d’entreprise. En moyenne, sur toute la période étudiée, les salariés ont passé 11,1 heures au travail chaque jour, dont 3,4 heures d’utilisation active de leur ordinateur. Pendant la période de référence (du 1er janvier au 23 août 2017) les employés totalisaient 3,4 heures actives quotidiennes.
Au moment de l’ouragan, les chercheurs n’ont observé aucun changement du nombre total d’heures travaillées, mais une baisse significative du nombre d’heures « actives ». Parallèlement, ils ont remarqué une augmentation significative de l’utilisation du clavier et du nombre de mots tapés par heure, ainsi qu’une baisse de l’utilisation de la souris. Pendant le reste de la période où les employés travaillaient à domicile, ils ont noté une augmentation à la fois du temps total travaillé et du nombre d’heures actives.
En conclusion, le télétravail a eu un impact significatif mais temporaire sur la productivité — probablement dû à un temps d’adaptation nécessaire —, laquelle est revenue à ses niveaux de référence assez rapidement. Cette étude a non seulement permis d’évaluer la productivité des employés, mais elle a également permis de collecter des données liées à la santé des travailleurs de l’information — qui sont sujets à divers troubles musculo-squelettiques, tels que le syndrome du canal carpien.
Les chercheurs pensent que leurs résultats peuvent aider à promouvoir des comportements sains pour les employés (via un outil logiciel). « Les personnes qui ont pris les pauses recommandées ont été globalement plus productives », a précisé Benden. Ils estiment par ailleurs que le suivi de ce type de données peut aider les entreprises à détecter et à résoudre les problèmes de santé de leurs employés à distance, notamment le stress, la dépression et la toxicomanie.