Des chercheurs ont développé un tatouage électronique temporaire qui décode les ondes cérébrales pour mesurer la tension mentale et prévenir le « burn-out ». Alimenté par une petite batterie et doté de capteurs sans fil ultrafins, ce dispositif épouse les contours du visage et s’adapte à la peau de chaque individu. Une avancée technologique qui pourrait renforcer la sécurité dans les environnements de travail à haute intensité cognitive, tels que le contrôle aérien ou la chirurgie.
La charge de travail mentale se définit généralement comme le niveau de sollicitation de la mémoire de travail et des fonctions cognitives d’un individu lors d’une tâche donnée. Elle est étroitement liée à d’autres dimensions telles que l’attention ou l’état d’éveil, susceptibles d’influer sur les performances.
Plusieurs études ont démontré qu’un niveau modéré de charge mentale constitue un équilibre essentiel pour maintenir l’attention, et donc la performance. À l’inverse, une charge trop faible induit un désengagement rapide, tandis qu’une charge excessive engendre une perte de contrôle. Dans les deux cas, le risque d’erreur augmente.
Il existerait ainsi une fenêtre cognitive optimale où l’individu opère au meilleur de ses capacités. Préserver cette zone d’équilibre est d’autant plus crucial dans les professions exigeant vigilance et précision, où un déficit cognitif pourrait mettre en péril la sécurité des personnes ou causer des pertes matérielles importantes. Cela inclut, par exemple, les conducteurs de véhicules, les pilotes d’avion, les contrôleurs aériens, les téléopérateurs en robotique, les chirurgiens, etc.
Quand la fatigue mentale devient mesurable
Mais si le lien entre charge mentale et performance est bien établi, sa mesure reste incertaine. Cette « fenêtre cognitive » est difficile à définir, car elle varie d’un individu à l’autre. « Il existe une charge mentale optimale pour une performance optimale, qui varie d’une personne à l’autre », rappelle la chercheuse Nanshu Lu, du Département de génie aérospatial et de mécanique de l’Université du Texas, dans un communiqué.
La charge mentale est en effet influencée par divers facteurs : la nature et la complexité de la tâche, les conditions de réalisation, les compétences du sujet, ou encore son niveau de fatigue. L’outil d’évaluation actuellement le plus répandu, le NASA Task Load Index, repose sur une autoévaluation subjective a posteriori.
Pour pallier ces limites, Nanshu Lu et son équipe proposent une méthode de mesure plus fine et plus objective. Leur tatouage électronique – ou « e-tattoo » – analyse l’activité électrique du cerveau (électroencéphalographie, ou EEG) ainsi que les mouvements oculaires (électrooculographie, ou EOG), à l’aide d’un dispositif compact et peu coûteux.
« Nous avons toujours surveillé la santé physique des employés, notamment les blessures ou les troubles musculosquelettiques », explique Luis Sentis, co-auteur de l’étude. « Nous pouvons désormais observer la tension mentale, qui, jusqu’à présent, échappait aux radars. Cela pourrait transformer les pratiques de prévention au travail. »
Un capteur aussi discret qu’efficace
Contrairement aux casques EEG traditionnels, souvent volumineux et encombrés de fils, l’e-tattoo fonctionne sans fil et est alimenté par une petite batterie. Ses capteurs ultrafins, aux formes ondulées et flexibles, peuvent s’étirer pour épouser les courbes du visage, assurant à la fois confort et précision. Les traits du visage sont mesurés afin d’optimiser le placement des capteurs, ce qui améliore significativement la captation des signaux électriques, là où les dispositifs conventionnels, standardisés, peinent à s’adapter aux variations morphologiques des crânes.
(C) Électrodes EEG extensibles laminées avec un circuit imprimé flexible encapsulé (FPC) sur le front. (D) Trois électrodes e-tattoo pour EOG.
(E) Électrode de référence ou de masse e-tattoo fixée à la mastoïde. (F) Vue éclatée du FPC multicouche. La conception en îlots-serpentins et l’encapsulation en silicone souple améliorent l’extensibilité et la conformabilité du FPC. (G) Dispositif expérimental de surveillance de la charge mentale lors de la tâche double N -back. Le tatouage frontal électronique sans fil capture les signaux EEG et EOG en temps réel. © Heeyong Huh et al.
L’efficacité de ce tatouage a été évaluée sur six participants en bonne santé, soumis à un exercice de mémoire de difficulté croissante. À mesure que la charge mentale augmentait, les chercheurs ont observé une hausse des ondes cérébrales thêta et delta, signe d’un engagement cognitif accru. Parallèlement, les ondes alpha et bêta diminuaient, ce qui pourrait signaler une fatigue mentale. Bien que ces corrélations entre types d’ondes et états cognitifs puissent varier selon les études, ces résultats suggèrent que le dispositif est capable de détecter des variations significatives dans l’activité cérébrale.
Outre la détection de la fatigue, l’e-tattoo permettrait également de prévenir l’épuisement mental. Les chercheurs ont en effet entraîné un algorithme d’intelligence artificielle à prédire le niveau de tension mentale à partir des signaux recueillis. D’après les résultats publiés dans la revue Device, ce modèle a su distinguer différents niveaux de charge mentale et anticiper les situations où une personne risquait de basculer vers le burn-out.
Un outil de surveillance à la portée de tous ?
Le coût modeste de l’appareil est un autre atout. « Son prix le rend accessible. Je souhaite en faire un produit que l’on pourrait porter à domicile », déclare Luis Sentis. Les composants électroniques, puce et batterie incluses, avoisinent les 200 dollars, tandis que chaque capteur jetable coûte environ 20 dollars. À titre de comparaison, un dispositif EEG classique peut dépasser 15 000 dollars.
Une limite subsiste toutefois : pour l’heure, le tatouage ne fonctionne que sur une peau glabre. Les chercheurs ambitionnent d’y remédier en développant des capteurs à encre conductrice, adaptés au cuir chevelu, afin d’obtenir une couverture plus complète des signaux cérébraux.