Les travaux de Stephen Hawking ont influencé de nombreux domaines, et notamment ceux de la cosmologie : plus particulièrement la gravité quantique et les trous noirs. Il était le premier à souligner que les trous noirs se comportent d’une manière qui met deux théories fondamentales en contradiction l’une avec l’autre, la relativité et la mécanique quantique. Ce paradoxe a déconcerté les scientifiques pendant un demi-siècle et conduit certains à remettre en question les lois fondamentales de la physique. Récemment, des scientifiques affirment l’avoir peut-être résolu, en s’appuyant notamment sur le fait que les trous noirs possèdent une propriété qu’ils ont nommée « cheveux quantiques de la gravité ». Ce serait une énorme avancée en physique théorique.
Les trous noirs sont des objets cosmiques que nous ne comprenons pas encore totalement. Ainsi, en astrophysique, un trou noir est défini comme étant un objet si compact que l’intensité de son champ gravitationnel empêche toute forme de matière ou de rayonnement de s’en échapper. En d’autres termes, leur gravité courbe l’espace-temps au point que rien ne peut atteindre la vitesse nécessaire pour s’échapper. De tels objets ne peuvent ni émettre ni diffuser la lumière, et sont donc noirs, ce qui en astrophysique revient à dire qu’ils sont « optiquement invisibles ».
De la même manière, l’information ne peut s’en échapper, et la théorie de la relativité générale d’Einstein suggère que les informations sur ce qui entre dans un trou noir ne peuvent donc pas en sortir, c’est-à-dire que nous ne pouvons pas déterminer ce qui, a posteriori, est entré dans le trou noir. Mais la mécanique quantique affirme que c’est impossible. C’est le paradoxe de l’information mis en évidence par Stephen Hawking en 1976.
Un quatuor international de physiciens, dont un professeur et étudiant en recherche de l’Université du Sussex, a co-écrit deux articles qui pourraient considérablement affecter notre compréhension des trous noirs et se voudraient la solution au problème qui déroute les scientifiques depuis près d’un demi-siècle. Les études sont publiées respectivement dans les revues Physical Review Letters et Physics Letters B.
Les trous noirs et le paradoxe de l’information
Dans un premier temps, revenons sur le paradoxe de l’information. Hawking s’est rendu compte que les trous noirs rayonnent d’une manière unique. Leur déformation de l’espace-temps modifierait la nature ondulatoire des champs quantiques environnants de sorte qu’une forme de rayonnement thermique serait produite. Cela signifie qu’un trou noir devrait lentement s’évaporer, émettant son énergie, photon après photon, dans l’Univers. Alors qu’il rayonne, le trou noir perd de l’énergie et donc de la masse. De fait, la relativité générale implique qu’une information pourrait fondamentalement disparaître dans un trou noir, à la suite de l’évaporation de celui-ci. À l’inverse, les lois de la physique quantique stipulent que l’information est préservée dans les trous noirs. C’est là que réside le paradoxe de l’information.
Il y a eu une myriade de solutions proposées, y compris la « théorie du mur de feu », dans laquelle l’information était censée brûler avant d’entrer dans un trou noir, la « théorie de la boule floue de darkinos » dans laquelle on suppose que les trous noirs ont des frontières floues. Mais la plupart de ces propositions nécessitaient de réécrire les lois de la mécanique quantique ou la théorie de la gravité d’Einstein, les deux piliers de la physique moderne.
Les cheveux quantiques
Toutes les théories qui supposent la persistance des informations décrivent en fait ces connexions restantes avec l’Univers comme des « cheveux ». C’est pourquoi Xavier Calmet et ses collaborateurs suggèrent que lorsque la matière s’effondre dans un trou noir, elle laisse une faible empreinte dans son champ gravitationnel. Les auteurs l’ont nommée « cheveu quantique de la gravité », car leur théorie remplace une idée antérieure appelée « théorème de l’absence de cheveux », développée dans les années 1960. Cette « théorie des trous noirs chauves », basée sur la physique classique, affirme que ces derniers peuvent être considérés comme des objets étonnamment simples, définis uniquement par leur masse, leur charge électrique et leur moment cinétique, lié à leur vitesse de rotation.
Au lieu d’objets simples, les auteurs affirment que les trous noirs sont bien plus complexes. Ils estiment que leur théorie de cheveux quantiques fournit le mécanisme par lequel les informations sont préservées lors de l’effondrement d’un trou noir. Cette nouvelle solution applique la pensée quantique à la gravité sous la forme de particules théoriques appelées gravitons. Ces particules élémentaires hypothétiques transmettraient la gravité dans la plupart des systèmes de gravité quantique, de la même manière que le photon est associé à la force électromagnétique. Grâce à une série d’étapes logiques montrant la façon dont les gravitons pourraient potentiellement se comporter dans certaines conditions d’énergie, l’équipe a démontré son modèle expliquant comment les informations, à l’intérieur d’un trou noir, peuvent rester connectées à l’espace environnant.
Plus précisément, les chercheurs ont comparé les champs gravitationnels de deux étoiles ayant la même masse totale et le même rayon, mais des compositions différentes. En physique classique, les deux étoiles ont le même potentiel gravitationnel, mais au niveau quantique, le potentiel dépend de la composition de l’étoile. Lorsque les étoiles s’effondrent en trous noirs, leurs champs gravitationnels préservent la mémoire de la composition des étoiles et conduisent à la conclusion que les trous noirs ont des cheveux. Les informations sur la matière tombée dans le trou noir laisseraient une trace de leur passage, nous donnant accès, théoriquement, à la composition du trou noir.
Le professeur Xavier Calmet, de l’université du Sussex, s’est exclamé, en exclusivité pour BBC News : « Le problème a été résolu ! Notre solution ne nécessite aucune idée spéculative ; au lieu de cela, nos recherches démontrent que les deux théories peuvent être utilisées pour effectuer des calculs cohérents de trous noirs et expliquer comment stocker des informations sans avoir besoin d’une nouvelle physique radicale ».
Néanmoins, il n’y a aucun moyen évident de tester la théorie avec des observations astronomiques, les fluctuations gravitationnelles seraient trop petites pour être mesurées. En tant que théorie, elle est intéressante, basée sur un cadre solide. Mais elle doit faire l’objet d’un examen minutieux de la part de la communauté scientifique.
Le professeur Calmet conclut au sujet de sa découverte, dans un communiqué : « Il faudra du temps pour que les gens l’acceptent. L’une des conséquences du paradoxe de Hawking était que la relativité générale et la mécanique quantique étaient incompatibles. Ce que nous constatons, c’est qu’elles sont tout à fait compatibles. Il faudra donc du temps pour que les gens acceptent qu’il ne soit pas nécessaire de trouver une solution radicale pour résoudre le problème ».