Prédits par la relativité générale, les trous de ver sont des raccourcis hypothétiques entre deux régions de l’espace-temps. Souvent utilisés dans les films de science-fiction comme moyen de se déplacer rapidement dans l’Univers, ces tunnels spatio-temporels ne seraient finalement pas un bon moyen de gagner du temps. En effet, selon une nouvelle étude, traverser un trou de ver serait plus long que de voyager directement à la destination souhaitée. Et voici pourquoi.
Récemment, une équipe de scientifiques de l’Ivy League a publié une étude expliquant comment des trous de ver traversables pourraient exister. La contrepartie est que, contrairement à la croyance populaire, ces tunnels dans l’espace-temps ne seraient pas des raccourcis ; au contraire, ils feraient même perdre du temps aux voyageurs.
À l’origine, les trous de ver sont une solution possible aux équations de la relativité générale d’Albert Einstein. Peu de temps après la publication de la théorie par Einstein en 1915, le physicien allemand Karl Schwarzschild a trouvé une solution possible qui prédit non seulement l’existence de trous noirs, mais aussi celle de tunnels les reliant.
Des trous de ver traversables sans matière exotique
Malheureusement, Schwarzschild a constaté que tout trou de ver reliant deux trous noirs s’effondrerait trop rapidement pour que quoi que ce soit puisse le traverser. La seule façon de traverser ces objets cosmiques serait de les stabiliser grâce à l’existence de matières exotiques à densité d’énergie négative.
Daniel Jafferis, physicien à l’Université Harvard, semble avoir une solution. Comme il l’a expliqué dans sa conférence de l’April meeting of the American Physical Society 2019 : « La perspective de configurations de trous de ver traversables a longtemps été une source de fascination. Je décrirai les premiers exemples compatibles avec une théorie de la gravité pouvant être complétée par UV, sans aucune matière exotique. La configuration implique une connexion directe entre les deux extrémités du trou de ver. Je discuterai également de ses implications pour l’information quantique en relation avec la gravité, du paradoxe de l’information du trou noir et de sa relation avec la téléportation quantique ».
Dans le cadre de cette étude, Jafferis a examiné le travail effectué par Einstein et Nathan Rosen en 1935. Cherchant à développer les travaux de Schwarzschild et d’autres scientifiques à la recherche de solutions aux équations d’Einstein, ils ont proposé l’existence éventuelle de ponts dans l’espace-temps (appelés ponts d’Einstein–Rosen, ou trous de ver) qui pourraient théoriquement permettre à la matière et aux objets de les traverser.
En 2013, cette théorie était utilisée par les physiciens théoriciens Leonard Susskind et Juan Maldacena comme une solution possible pour la relativité générale et l’intrication quantique. Connue sous le nom de conjecture ER = EPR, cette théorie suggère que les trous de ver sont à la base du mécanisme de l’intrication quantique, permettant de relier deux particules séparées l’une de l’autre.
C’est à partir de là que Jafferis a développé sa théorie, en postulant que les trous de ver pourraient en réalité être traversés par des photons. Pour tester cela, Jafferis a mené une analyse avec l’aide des physiciens Ping Gao et Aron Wall.
Trous de ver : ils ne seraient finalement pas des raccourcis
Ce que les physiciens ont découvert est que, bien qu’il soit théoriquement possible pour la lumière de traverser un trou de ver, ce dernier ne fait pas vraiment office de raccourci. « Il faut plus de temps pour traverser ces trous de ver que pour se rendre directement au point souhaité, de sorte qu’ils ne sont pas très utiles pour les voyages dans l’espace » explique Jafferis.
Fondamentalement, les résultats de leur analyse ont montré qu’une connexion directe entre trous noirs est plus courte qu’une connexion par trou de ver. Même si ces résultats remettent en cause les trous de ver comme des moyens futurs potentiels de se déplacer rapidement dans et entre les galaxies, les informations qu’ils apportent sur la théorie quantique sont précieuses.
« La véritable importance de ce travail réside dans sa relation avec le problème de l’information des trous noirs et les liens entre la gravité et la mécanique quantique » déclare Jafferis.
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Le problème auquel il fait référence est connu sous le nom de paradoxe de l’information, un problème qui se pose aux cosmologistes depuis 1975, moment où Hawking, travaillant sur la thermodynamique des trous noirs, a découvert que ceux-ci avaient une température et s’évaporaient lentement ; un processus appelé rayonnement de Hawking. Si les trous noirs perdent progressivement de la masse, alors l’information qu’ils contiennent semble irrémédiablement perdue. Une situation interdite par la mécanique quantique.
De nouvelles pistes pour une théorie de la gravité quantique
En développant une théorie selon laquelle la lumière peut traverser un trou de ver, cette étude pourrait représenter un moyen de résoudre ce paradoxe. Il se pourrait en effet que le rayonnement de Hawking provienne en réalité d’une autre région de l’espace-temps, et non de la périphérie du trou noir. Ainsi, il ne représenterait donc pas une perte d’énergie-masse.
L’étude ouvre également de nouvelles pistes dans l’unification de la relativité générale et la mécanique quantique, au sein d’une théorie de la gravité quantique. Cela est dû au fait que Jafferis a utilisé des outils de la théorie quantique des champs pour postuler l’existence de trous de ver traversables, éliminant ainsi le besoin de particules exotiques et de masse négative (incompatible avec une théorie de la gravité quantique).
« Je pense que cela nous apprendra beaucoup sur la dualité jauge/gravité, la gravité quantique, et nous suggérera peut-être même une nouvelle façon de formuler la mécanique quantique » conclut Jafferis.