Les physiciens rappellent fréquemment que nous sommes des « poussières d’étoiles ». De l’hélium au fer en passant par le carbone ou encore le silicium, ces éléments sont effectivement tous synthétisés au sein des forges cosmiques que sont les étoiles au cours du processus de nucléosynthèse stellaire. Mais qu’en est-il des éléments plus lourds que le fer ?
Si les modèles postulent classiquement que ces éléments lourds sont synthétisés lors de supernovas ou de la fusion d’étoiles à neutrons, une nouvelle étude avance l’hypothèse qu’ils pourraient être formés lors de la rencontre entre des trous noirs primordiaux et des étoiles à neutrons.
Les limites du modèle de la nucléosynthèse stellaire
L’origine stellaire des éléments chimiques fait sa première apparition au début des années 1920 grâce aux travaux de physiciens qui avancèrent l’hypothèse de la fusion de noyaux d’hydrogène et d’hélium au sein des étoiles. Mais c’est véritablement en 1957 que le modèle de la nucléosynthèse stellaire fait son apparition au travers de deux publications fondatrices.
Ces deux publications proposent une description complète du mécanisme de nucléosynthèse stellaire ainsi qu’un schéma exhaustif de la formation des différents éléments chimiques, de l’hydrogène jusqu’aux éléments lourds. Aujourd’hui, c’est ce modèle qui est encore utilisé.
La nucléosynthèse stellaire se décompose en deux phases : une phase « calme » et une phase « explosive ». La phase calme désigne la production de tous les éléments chimiques, à partir de l’hydrogène, jusqu’au fer. Ces éléments sont synthétisés via différentes réactions de fusion thermonucléaire en chaîne au sein de l’étoile. À la fin de la phase calme, le fer s’accumule au cœur de l’étoile et celle-ci s’effondre sur elle-même.
L’onde de choc résultant de l’effondrement gravitationnel de l’étoile relance les réactions de fusion dans ce milieu extrêmement énergétique, permettant de créer des éléments plus lourds que le fer : c’est la phase explosive. Pour finir, l’étoile devient une supernova.
Durant la phase explosive, deux processus bien particuliers sont à l’origine de la synthèse des éléments lourds. Le processus r qui consiste en la capture rapide de neutrons par des noyaux atomiques à haute température et dans un milieu très dense en neutrons, et le processus rp qui consiste en la capture rapide de protons par des noyaux atomiques.
Ces deux processus permettent de créer des éléments plus lourds que le fer à partir d’éléments plus légers. Toutefois, en comparant la quantité observée de ces éléments lourds dans l’univers à la quantité d’éléments lourds créés par les supernovas, les astrophysiciens se sont aperçus que ces deux quantités ne correspondaient pas.
Dès lors qu’il est apparu que la nucléosynthèse stellaire explosive était insuffisante pour expliquer à elle-seule l’abondance des éléments lourds observée, les chercheurs ont cherché d’autres mécanismes de production de ces éléments dans des milieux riches en neutrons.
Un nouveau modèle de formation des éléments lourds
Dans une publication du 7 août parue dans le journal Physical Review Letters (1), les astrophysiciens théoriciens G. Fuller (UC San Diego’s Center for Astrophysics and Space Sciences), A. Kusenko et V. Takhistov (UCLA) proposent un nouveau modèle de formation des éléments lourds faisant intervenir les étoiles à neutrons et les trous noirs primordiaux.
Les physiciens avancent en effet l’hypothèse que dans de rares cas, une étoile à neutrons peut attirer et capturer gravitationnellement un trou noir primordial avant de se faire détruire de l’intérieur par celui-ci en éjectant de la matière neutronique.
Fuller explique que « les petits trous noirs primordiaux créés lors du Big Bang peuvent envahir une étoile à neutrons et s’en nourrir de l’intérieur. Durant les dernières millisecondes avant la disparition de l’étoile à neutrons, la quantité de matière riche en neutrons éjectée est suffisante pour expliquer l’abondance observée des éléments lourds ».
Il poursuit en précisant que « tandis que l’étoile à neutrons est dévorée, elle tourne rapidement sur elle-même en éjectant de la matière neutronique froide qui décompresse, se réchauffe et crée ces éléments lourds ».
Cette hypothèse est en adéquation avec les observations actuelles. En effet, Fuller explique que « Comme cet événement n’apparaît que rarement, l’on comprend pourquoi seule une galaxie naine sur dix est enrichie en éléments lourds. La destruction systématique des étoiles à neutrons par les trous noirs primordiaux est cohérente avec l’absence d’étoiles à neutrons dans le centre galactique et dans les galaxies naines où la densité de trous noirs devrait être haute ».
Non seulement ce modèle explique la formation des éléments lourds ainsi que leur abondance, mais il expliquerait également indirectement trois autres phénomènes astrophysiques qui demeurent encore flous. Le premier de ces phénomènes est l’intense rayonnement infrarouge émis lors des kilonova (ou supernovas à processus r) ; ce rayonnement est particulièrement émis lors de la fusion d’une étoile à neutrons avec un trou noir.
Le second phénomène est l’émission de sursauts radio rapides observés depuis ces dernières années et dont l’origine est toujours un mystère. Le troisième phénomène est la présence de positrons dans le centre galactique, observés grâce aux rayons X.
Fuller affirme que « Chacun de ces phénomènes est un mystère de longue date. Il est en effet surprenant que la solution à ces phénomènes apparemment sans rapport direct puisse être reliée à la disparition violente des étoiles à neutrons aux mains des trous noirs primordiaux ». Bien que ce nouveau modèle soit prometteur et corresponde aux observations effectuées, il demeure spéculatif et soumis à caution.
Les trous noirs primordiaux représentent un des éléments fondateurs de cette hypothèse, et pourtant ceux-ci sont encore purement théoriques. En effet, ces trous noirs censés s’être formés durant les premiers instants du Big Bang, par effondrement gravitationnel de l’espace-temps sous de très intenses fluctuations de densité, n’ont toujours pas été observés à l’heure actuelle.