Les trous noirs sont probablement les objets les plus intrigants de l’Univers. Ils déforment l’espace-temps qui les entoure à tel point que tout, y compris la lumière, ne peut s’en échapper. Or, l’expansion de l’Univers s’accélère, et il a été proposé qu’une « énergie noire » en serait majoritairement responsable, plus fortement que la gravité. Les trous noirs posent alors un problème dans cette théorie de l’expansion, car il est difficile de s’opposer à leur gravité. Récemment, des chercheurs ont trouvé la première preuve liant ces deux notions, les trous noirs pourraient ainsi être la source même de la totalité de l’énergie noire.
Dans les années 1990, grâce au télescope Hubble, les scientifiques ont découvert que l’expansion de l’Univers s’accélérait. Il était alors difficile de le concevoir au regard de ce que nous connaissions jusque-là : la gravité liant tous les objets de l’Univers entre eux. En effet, tous les chercheurs s’accordaient sur le fait que l’expansion primordiale, due au Big Bang il y a 13,7 milliards d’années, ralentit progressivement en raison de l’effet de la gravité. Néanmoins, pour expliquer ce fait étrange, il a été proposé qu’une « énergie noire » est responsable de la séparation des corps célestes, et donc serait bien plus forte que la gravité.
Il faut savoir que la matière ordinaire, qui compose le monde qui nous entoure quotidiennement, ne représente que 5% de l’Univers. La matière noire, contrepartie de la matière ordinaire qui n’émet, ne réfléchit, ni n’absorbe la lumière, représente 27% de la matière et de l’énergie de l’Univers et enfin, les 68% restants seraient constitués d’énergie noire. On estime que cette énergie noire agit comme l’échafaudage invisible sur lequel les galaxies se forment et se développent.
L’énergie noire est liée à un concept qu’Einstein avait proposé, mais plus tard rejeté — une « constante cosmologique » qui s’opposerait à la gravité et empêcherait l’univers de s’effondrer. Ce concept a été relancé avec la découverte de l’accélération de l’expansion de l’Univers, sa composante principale étant une sorte d’énergie incluse dans l’espace-temps lui-même, appelée énergie du vide.
Cependant, les trous noirs posaient un problème : il est difficile de s’opposer à leur gravité extrêmement forte, en particulier en leur centre, où tout semble s’effondrer dans un phénomène appelé « singularité ». Sans compter que cette dernière n’est qu’une construction mathématique, n’ayant pas de réalité physique.
En 2021, des astrophysiciens de Yale, de l’Université de Miami et de l’Agence spatiale européenne (ESA) ont émis l’hypothèse que les trous noirs primordiaux créés dans les premiers instants après le Big Bang pourraient représenter toute la matière noire de l’univers.
Récemment, les mesures des galaxies anciennes et dormantes, par le biais du télescope James Webb notamment, montrent que les trous noirs augmentent leur masse bien plus rapidement que prévu, ce qui correspond à un phénomène prédit dans la théorie de la gravité d’Einstein. Le résultat signifie potentiellement que nous ne devons rien ajouter à l’image de l’Univers pour tenir compte de l’énergie noire : les trous noirs combinés à la gravité d’Einstein en seraient la source.
La nouvelle preuve que les trous noirs pourraient être la source de l’énergie noire est décrite deux articles distincts, dans les revues The Astrophysical Journal et The Astrophysical Journal Letters. Ces travaux sont ceux d’un groupe de 17 astronomes issus de neuf pays, dirigé par l’Université d’Hawaï.
Trous noirs en croissance
Les résultats obtenus par l’équipe proviennent de l’analyse de neuf milliards d’années d’évolution de trous noirs. Concrètement, les auteurs voulaient comprendre la place des trous noirs supermassifs dans un univers en expansion et découvrir si leurs seuls caractéristiques (accrétion de matière) pouvaient expliquer leur croissance dans ce contexte particulier.
Pour rappel, les trous noirs se forment lorsque des étoiles massives arrivent en fin de vie. Lorsque leur masse est de l’ordre d’un million de masses solaires ou plus, ils sont appelés trous noirs supermassifs. Et cette masse est contenue dans un espace relativement restreint, engendrant une gravité extrêmement forte. Les trous noirs peuvent augmenter de taille en accrétant de la matière, par exemple en avalant des étoiles proches ou en fusionnant avec d’autres trous noirs.
Les chercheurs se sont penchés sur un type particulier de galaxies appelées galaxies elliptiques géantes, qui ont évolué tôt dans l’Univers puis sont devenues inactives. Les galaxies dormantes comme celles-ci ne forment plus d’étoiles, laissant peu de matière pour que le trou noir en leur centre se nourrisse, ce qui signifie que toute croissance supplémentaire ne peut être expliquée par ces processus astrophysiques standard.
La comparaison des observations de galaxies lointaines (jeunes) avec des galaxies elliptiques locales (vieilles et mourantes) a montré une croissance beaucoup plus importante que prévu par l’accrétion ou les fusions : les trous noirs d’aujourd’hui sont 7 à 20 fois plus grands qu’ils ne l’étaient il y a neuf milliards d’années.
Les auteurs estiment que ces résultats démontrent que les trous noirs gagnent en masse d’une manière compatible avec le fait qu’ils contiennent l’énergie du vide, fournissant une source d’énergie noire et supprimant le besoin de formation de singularités en leur centre.
VIDÉO : Le co-auteur de l’étude, le Dr Chris Pearson, chef du groupe d’astronomie chez RAL Space, explique leurs découvertes.
Première preuve de couplage cosmologique
D’autres mesures avec des populations de galaxies apparentées à différents points de l’évolution de l’Univers montrent un bon accord entre la taille de l’Univers observable et la masse des trous noirs. En effet, l’équipe a calculé quelle quantité d’énergie noire dans l’univers pouvait être attribuée à ce processus de couplage. Ils ont conclu qu’il serait possible pour les trous noirs de fournir la quantité d’énergie du vide nécessaire pour rendre compte de toute l’énergie noire que nous mesurons dans l’univers à ce jour.
Il s’agit de la première preuve observationnelle que les trous noirs contiennent en fait de l’énergie du vide et qu’ils sont de fait « couplés » à l’expansion de l’Univers, augmentant en masse à mesure que l’Univers se dilate — un phénomène appelé « couplage cosmologique ». Si d’autres observations le confirment, le couplage cosmologique redéfinira notre compréhension de ce qu’est un trou noir.
Duncan Farrah, auteur principal de l’étude et astronome de l’Université d’Hawaï, déclare dans un communiqué : « Nous disons en réalité deux choses à la fois : qu’il existe des preuves que les solutions typiques des trous noirs ne fonctionnent pas sur une très longue échelle de temps, et que nous avons la première proposition de preuve de source astrophysique pour l’énergie noire ».
Le Dr Chris Pearson, co-auteur, du STFC RAL Space, conclut : « Si la théorie tient, alors cela révolutionnera l’ensemble de la cosmologie, car nous avons enfin une solution pour l’origine de l’énergie noire, qui a laissé perplexes de nombreux cosmologistes et physiciens théoriciens depuis plus de 20 ans ».