Ce bébé requin a vu le jour en Sardaigne, dans un aquarium ne contenant que deux femelles. Les scientifiques affirment aujourd’hui qu’il pourrait s’agir d’un cas très rare de parthénogenèse — soit une reproduction à partir d’un gamète femelle non fécondé. Si le phénomène a déjà été observé chez plus de 80 espèces animales, ce nouveau-né pourrait être le premier cas documenté de parthénogenèse chez cette espèce de requin.
Ce requin-lévrier (Mustelus mustelus) né à l’aquarium de Cala Gonone en Sardaigne, a été baptisé Ispera, qui signifie « espoir » en sarde, selon le média italien AGI. Dans le bassin où il a vu le jour, deux femelles cohabitent depuis une dizaine d’années, sans aucun mâle.
La parthénogenèse est particulièrement rare, mais le phénomène s’est déjà produit chez plus de 80 espèces de vertébrés, dont des requins, des poissons et des reptiles. « Environ 15 espèces de requins et de raies sont connues pour faire cela. Mais il est probable que la plupart des espèces puissent le faire », remarque Demian Chapman, directeur du programme de conservation des requins et des raies au Mote Marine Laboratory & Aquarium en Floride. Les cas pourraient être d’autant plus fréquents qu’ils sont relativement rares à détecter dans la nature.
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Un moyen de pallier le manque de partenaire
La reproduction sexuée implique toujours un ovule et un spermatozoïde, chacun apportant la moitié de l’information génétique nécessaire à la création d’un nouvel individu. La parthénogenèse est un mode de reproduction qui peut survenir pour pallier l’absence de spermatozoïdes. Il existe deux types de parthénogenèse : l’apomixie, une reproduction sans méiose ni fécondation que l’on observe surtout dans le règne végétal (et qui aboutit à un vrai clone du parent), et l’automixie, une forme d’autofécondation qui ressemble davantage à la reproduction sexuée dans le sens où elle implique un léger brassage des gènes de la mère ; dans ce dernier cas, la progéniture est très similaire à la mère, mais sans pour autant être un clone parfait.
L’ovule se combine avec ce que l’on appelle un globule polaire (un sous-produit de la méiose) pour former l’embryon. Le globule polaire agit en quelque sorte comme un autre ovule encore immature, se comportant presque comme un spermatozoïde, avec un seul brin d’ADN. Chaque globule polaire a donc une constitution génétique différente et lorsqu’il se combine avec l’ovule, cela conduit à un bébé requin génétiquement différent de la mère. « Mais parce qu’ils ne sont fabriqués qu’à partir d’un gamète et non de deux, les descendants parthénogénétiques sont plus étroitement liés à leur mère que les bébés normaux », souligne Christine Dudgeon, chercheuse en biosciences à l’Université du Queensland, en Australie, spécialiste de la parthénogenèse des requins.
Dans la nature, quelle que soit l’espèce, la parthénogenèse peut être un dernier recours pour les femelles qui ne peuvent pas trouver de partenaire, de par le déclin de leur population par exemple — un déclin dû aux impacts humains, tels que le changement climatique et la surpêche, ou aux pressions de sélection naturelle, telles que la prédation et la maladie. Mais le phénomène peut également survenir chez les requins captifs, qui sont séparés des mâles pendant de longues périodes. Enfin, certains individus peuvent basculer entre parthénogenèse et reproduction sexuée selon la disponibilité des partenaires.
Les scientifiques précisent que la parthénogenèse se produit le plus souvent chez les requins-chabots, en particulier les requins-chabots à taches blancs (Chiloscyllium plagiosum) et les requins-zèbres (Stegostoma tigrinum), car ce sont des espèces que l’on retrouve souvent en captivité. À noter par ailleurs que la parthénogenèse peut se produire aussi bien chez les requins ovipares, comme les requins-chabots, que chez les vivipares, comme les requins-lévriers.
Une consanguinité souvent fatale
Plusieurs cas de parthénogenèses ont déjà été rapportés par le passé. En 2016, un requin-zèbre maintenu en captivité dans un aquarium australien a ainsi pondu trois œufs, dont sont sortis trois bébés viables, alors que cette femelle n’avait pas côtoyé de mâle depuis trois ans. Quelques années plus tôt, elle s’était déjà accouplée avec un mâle, puis elle a été transférée dans un autre bassin, sans aucun mâle, où elle s’est pourtant remise à pondre ; une preuve que l’animal s’est adapté à ses nouvelles conditions de vie en basculant vers la parthénogenèse.
Quelques années auparavant, en 2012, c’est une femelle python du zoo de Louisville, dans le Kentucky, qui a donné naissance à six femelles, alors qu’elle ne vivait qu’avec une autre femelle python et n’avait jamais côtoyé de mâle. Si les spécialistes pensaient tout d’abord que du sperme stocké dans le corps de la femelle pouvait potentiellement expliquer le phénomène, des analyses ont révélé par la suite que les bébés serpents provenaient bien d’un seul et même parent (en l’occurrence, leur mère).
La parthénogenèse chez les requins ne se produit que chez les femelles ; or, les femelles ne peuvent pas transmettre de chromosome Y, ce qui signifie que la progéniture résultante est toujours une femelle. En outre, de par ce mode de reproduction atypique, la diversité génétique de la progéniture est fortement réduite et le taux d’échec embryonnaire est relativement élevé. « Mais quand [les descendants] survivent, beaucoup ont une vie normale, et certains peuvent même se reproduire », souligne Chapman.
Il est toutefois difficile d’évaluer le taux de mortalité spécifiquement lié à la parthénogenèse, car la mortalité des requins juvéniles, dans les aquariums comme dans la nature, est déjà globalement assez élevée. Pour l’instant, ce requin nouveau-né semble en bonne santé ; les biologistes marins de l’aquarium ont envoyé des échantillons d’ADN à un laboratoire pour confirmer qu’il est bien né par parthénogenèse.