Une analyse menée par l’institut Swiss Re, révèle que plus de la moitié du PIB mondial — soit environ 42’000 milliards de dollars — dépend de la biodiversité et des services écosystémiques. En outre, dans un pays sur cinq, les écosystèmes sont très fragilisés sur plus d’un tiers de la superficie totale du pays. Si ces écosystèmes s’effondrent, c’est toute l’économie mondiale qui est menacée, avertissent les experts.
Tous les pays du monde dépendent en effet d’une gamme de services naturels, indispensables à la santé et à la stabilité de leurs communautés et de leur économie. Ces services dits « écosystémiques » comprennent notamment l’approvisionnement alimentaire, la sécurité de l’eau et la régulation de la qualité de l’air local. Dans son rapport, Swiss Re Institute dresse un bilan de la situation pour mieux comprendre les risques économiques inhérents à la détérioration de la biodiversité et des écosystèmes.
Un état des lieux à l’échelle mondiale
C’est la première fois qu’un rapport établit à l’échelle mondiale la dépendance des pays vis-à-vis de la nature. Le constat est alarmant. Dans de nombreux endroits du monde, les écosystèmes sont malmenés par la présence et l’activité humaine. La destruction de la mer d’Aral, qui a conduit à un effondrement économique et à des migrations massives de la zone côtière environnante, fournit une bonne illustration de la façon dont la disparition d’un écosystème peut affecter une économie locale.
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Au total, ce sont aujourd’hui 39 pays qui pourraient voir leurs écosystèmes s’effondrer dans un futur proche, de par un déclin généralisé de la biodiversité. Dans le trio de tête des pays ayant la part la plus importante d’écosystèmes en péril : Malte, Israël et Bahreïn. Déforestation, agriculture intensive, exploitation minière, espèces envahissantes (algues) et déclin des insectes pollinisateurs, voilà tout autant de facteurs qui contribuent à la destruction progressive des espaces naturels et des vies qu’ils abritent. À noter que la recherche médicale mondiale est particulièrement menacée par la décimation des forêts tropicales, car près de 50% de tous les médicaments proviennent des ressources naturelles de cet habitat.
Les pays en développement dépendant fortement du secteur agricole — comme le Kenya, le Vietnam, le Pakistan, l’Indonésie et le Nigeria — sont particulièrement menacés : la dépendance de leur PIB vis-à-vis des ressources naturelles est très importante. De même, des régions densément peuplées et économiquement importantes telles que l’Asie du Sud-Est, l’Europe et l’Amérique sont également exposées à un déclin de biodiversité et des services écosystémiques, malgré leur diversification économique.
L’Australie et l’Afrique du Sud, des pays pourtant membres du G20, sont également en haut du classement mondial (respectivement à la 8e et 6e place) ; ils sont aujourd’hui confrontés à des problèmes de pénurie d’eau, de pollinisation et de protection des régions côtières. Même des pays comme le Brésil et l’Indonésie, dont une grande partie des écosystèmes naturels sont jusqu’à présent demeurés intacts, reposent sur des économies en plein essor et des populations qui sont fortement (trop) tributaires des ressources naturelles.
Pour Christian Mumenthaler, PDG du groupe Swiss Re, un état des lieux est indispensable pour l’avenir : « Il est clairement nécessaire d’évaluer l’état des écosystèmes afin que la communauté mondiale puisse minimiser tout impact négatif supplémentaire sur les économies du monde entier ». L’analyse proposée par Swiss Re compare la manière dont les pays du monde utilisent leurs ressources naturelles à des fins lucratives et comment cela impacte la planète. Pour les 195 pays, les chercheurs ont ainsi évalué l’état de dix services écosystémiques, tels que l’intégrité de l’habitat, la qualité de l’air, la sécurité de l’eau, la fertilité des sols, la protection côtière et l’approvisionnement en bois.
Il s’avère que près d’un tiers des pays (exactement 60 au total) ont des écosystèmes jugés fragiles sur plus de 20% de leurs terres. Seuls 41 pays disposaient d’écosystèmes intacts couvrant la même étendue de terre.
Pas encore au point de non-retour
Cet état de fait ne signifie pas nécessairement que ces écosystèmes et les économies qui en dépendent sont condamnés pour de bon. Au contraire, il met en évidence l’urgence d’agir pour préserver la biodiversité. Sans aucune mesure adéquate ni aucun changement significatif, l’activité humaine pourrait cependant conduire à un point de non-retour, entraînant l’effondrement brusque des écosystèmes.
La situation du monde actuel est le fruit d’une erreur monumentale : « La façon dont nous utilisons les écosystèmes — la façon dont nous gérons nos sociétés et nos économies — prend souvent pour acquis l’approvisionnement et le renouvellement des écosystèmes », soulignent les auteurs du rapport. Mais si les entités gouvernementales, les entreprises et les autres parties prenantes prenaient désormais en compte le rôle de la biodiversité dans le système économique, la dégradation des services écosystémiques pourrait être considérablement ralentie ou même inversée, selon les experts.
Le rapport explique en outre comment de simples actions de préservation peuvent avoir un impact significatif sur l’économie. À titre d’exemple, la restauration des écosystèmes le long de la côte de la Louisiane pourrait réduire les coûts d’inondation, estimés à 5,3 milliards de dollars par an. De même, les mesures visant à préserver les récifs coralliens à l’échelle mondiale pourraient réduire les dommages estimés dus aux tempêtes (et aux inondations qui en découlent) qui, dans le cas contraire, augmenteraient de 91%.
Bien entendu, les stratégies de conservation seront différentes d’une région à l’autre, car tous les pays ne sont pas au même niveau de risque, ni ne partagent les mêmes priorités. Par exemple, selon le rapport, des pays comme l’Inde et le Nigeria devraient s’attaquer immédiatement au déclin de la biodiversité, car ils ont tous deux des densités de population élevées et une forte dépendance du PIB vis-à-vis des écosystèmes naturels. Ce n’est pas le cas, en revanche, de l’Australie (dépendance et densité de population faibles), mais le pays est confronté à de nombreux défis liés au climat (incendies de forêt, pénurie d’eau), qui peuvent mettre en danger ses futurs écosystèmes ; il est donc essentiel de conserver ce qui reste.
Les auteurs reconnaissent que leurs estimations ne sont pas parfaites et qu’une mise à jour régulière sera sûrement nécessaire pour un suivi optimal de la situation. Mais ce rapport constitue tout de même une bonne référence pour orienter la prise de décision des gouvernements concernant la restauration et la préservation des écosystèmes ; par ailleurs, il incitera peut-être les entreprises et les investisseurs à se focaliser davantage sur des stratégies de développement durable.