Des astronomes chinois ont identifié un nuage à grande vitesse – un vaste halo de matière orbitant autour de la Voie lactée – qui pourrait abriter une galaxie sombre, ce type hypothétique de galaxie composé exclusivement de matière noire. Sa densité et sa dynamique de rotation correspondent à celles observées dans certaines galaxies naines. Cette découverte pourrait constituer, à ce jour, la preuve la plus tangible de l’existence de ces objets cosmiques insaisissables.
Découverts pour la première fois en 1963, les nuages à grande vitesse (HVC, pour *High-Velocity Clouds*) sont des structures gazeuses diffuses, se déplaçant autour de la Voie lactée à des vitesses inexplicablement élevées. Composés essentiellement d’hydrogène neutre, ils peuvent être détectés dans la quasi-totalité du ciel et se regroupent fréquemment en grandes concentrations du côté de la constellation de la Grande Ourse.
Ces formations intriguent les astronomes depuis plusieurs décennies. Leur vitesse dépasse largement celle que la rotation de la galaxie permettrait de prévoir – d’où leur nom. Malgré leur absence d’étoiles, ce qui complique leur observation, ils semblent jouer un rôle essentiel dans l’équilibre dynamique de l’environnement galactique et dans la régulation du taux de formation stellaire.
Leur origine demeure cependant largement mystérieuse. Plusieurs hypothèses ont été avancées : ils pourraient être des fragments de gaz arrachés au disque galactique par l’explosion de supernovas, des vestiges de la phase primitive de formation de la galaxie, ou encore des objets extragalactiques capturés par la Voie lactée. Certains pourraient être les reliquats de galaxies partiellement disloquées lors de passages à proximité.
Une équipe de l’Académie chinoise des sciences avance aujourd’hui que l’un de ces nuages, désigné sous le nom de complexe AC-1, pourrait renfermer une galaxie sombre, en raison de propriétés cinématiques singulières. « Nous avons identifié un amas compact au sein d’AC-1 présentant des caractéristiques de rotation évoquant celles d’une galaxie dominée par la matière noire », explique Ming Zhu, co-auteur de l’étude et astronome à l’Académie, dans un article publié dans la revue PNAS. « Ce comportement pourrait indiquer la présence d’une galaxie sombre dissimulée au sein de ce nuage », ajoute-t-il.
Une galaxie entièrement composée de matière noire ?
Découvert dans les années 1960, le complexe AC-1 fait partie d’un groupe de nuages à grande vitesse situé à l’opposé du centre galactique. L’objectif initial des chercheurs était d’en détailler la structure afin d’en éclaircir l’origine. Pour ce faire, ils se sont appuyés sur les observations du radiotélescope d’Arecibo, à Porto Rico, ainsi que sur celles du radiotélescope sphérique chinois à ouverture de cinq cents mètres (FAST).
Ils se sont notamment concentrés sur une sous-structure du nuage, nommée G185.0–11.5. Ce noyau de gaz présente des mouvements de rotation et une densité remarquablement cohérents avec ceux d’une petite galaxie. Les mesures de distance — environ 900 000 années-lumière — et d’éloignement du disque galactique suggèrent une taille similaire à celle d’une galaxie naine.
« Il s’agit d’un nuage compact, très inhabituel », précise Ming Zhu. Aucun indice d’étoiles visibles n’a été détecté dans sa structure, pourtant ses mouvements imitent ceux d’un disque galactique. Selon l’équipe, la présence exclusive de matière noire constitue l’explication la plus plausible à ce comportement.
La prépondérance de matière noire permettrait d’expliquer les caractéristiques dynamiques de G185.0–11.5. Les chercheurs estiment que ce nuage contient jusqu’à 21 fois plus de matière inexpliquée – vraisemblablement noire – que de matière baryonique. Si ce rapport est confirmé, il s’agirait d’un cas particulièrement convaincant. Jusqu’ici, aucune galaxie sombre n’a été directement identifiée, bien que leur existence soit théorisée depuis plusieurs décennies.
« L’absence de gaz moléculaire et l’absence de contrepartie optique pour G185.0–11.5 suggèrent qu’il pourrait s’agir d’une galaxie sombre rare », notent les auteurs dans leur publication parue dans Science Advances.
Cette hypothèse ne fait toutefois pas l’unanimité. Des chercheurs extérieurs à l’étude estiment que d’autres explications doivent être envisagées. « Il est possible que les mouvements de rotation observés résultent d’une interaction gravitationnelle passée avec la Voie lactée », avance Snežana Stanimirović, astronome à l’Université du Wisconsin-Madison, qui n’a pas pris part à la recherche. Elle rappelle que « même des nuages interstellaires ordinaires, dénués d’étoiles, peuvent présenter une rotation ».
Par ailleurs, l’idée de galaxies compactes, sans étoile, a déjà été explorée théoriquement, mais très peu de candidates crédibles ont émergé jusqu’ici. D’après certains astronomes, ces objets devraient pouvoir être repérés dans leur phase pré-stellaire, avant même que des étoiles n’y prennent naissance. G185.0–11.5 pourrait ainsi appartenir à cette catégorie encore largement hypothétique.
Des analyses complémentaires, notamment sur la masse et la composition du nuage, seront nécessaires pour trancher. La bonne nouvelle est que sa proximité relative avec la Terre en fait un candidat accessible pour les télescopes de nouvelle génération, capables de scruter l’univers avec une précision inédite.
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