Unifier la théorie de la gravité d’Einstein avec la mécanique quantique pourrait nous donner un aperçu approfondi de divers phénomènes et objets encore mystérieux à ce jour, tels que les trous noirs ou la naissance de l’univers. Tel était l’espoir d’Albert Einstein, à la fin de sa vie. Une quête qui restera malheureusement infructueuse. Récemment, des chercheurs de l’Université de technologie de Chalmers (Suède) et du MIT (États-Unis) présentent des résultats ouvrant une nouvelle perspective quant à la combinaison des deux théories, en décrivant l’émergence de la gravité dans un modèle dit « holographique » de l’Univers. Explications.
Après être devenu célèbre pour plusieurs brillantes percées en physique, dont le mouvement brownien, l’effet photoélectrique et les théories de la relativité restreinte et générale, Albert Einstein a passé les trente dernières années de sa vie à la recherche d’un moyen de combiner la gravité et l’électromagnétisme en une seule théorie. Il était motivé par un besoin intellectuel d’unifier les forces de la nature, et convaincu que toute la nature devait être décrite par une seule théorie. Il déclara d’ailleurs, dans sa conférence pour le prix Nobel en 1923 : « L’intellect à la recherche d’une théorie intégrée ne peut pas se contenter de l’hypothèse qu’il existe deux domaines distincts totalement indépendants l’un de l’autre par leur nature ».
Comment la théorie de la gravité d’Einstein peut-elle être unifiée avec la mécanique quantique ? C’est dans l’objectif de résoudre cette question, de comprendre la façon dont l’espace, le temps et la matière émergent de lois plus profondes, que l’équipe internationale de Chalmers et du MIT s’est orientée vers les mathématiques.
Une théorie de la « gravité quantique »
La théorie de la relativité générale d’Einstein décrit l’univers à grande échelle. Elle repose sur un continuum homogène d’espace et de temps, qui se courbe en réponse à la masse, même lorsque la nature est vue à la plus petite des échelles, mais sans être encore au niveau atomique. La mécanique quantique prend alors le relais et décrit les lois régissant les particules qui composent notre univers (photons, électrons, quarks, etc.). En termes simples, elle considère l’univers quantique en blocs. Mais il devient flou lorsqu’il est vu de près, comme une image extrêmement pixélisée, où nous ne discernons plus grand-chose de l’image d’origine, à part un mélange confus de couleurs.
Une combinaison de ces deux visions de pensées inclurait donc à la fois une description macroscopique, microscopique et atomique de la nature. Il existe quelques approches de la gravitation quantique, telles que la gravitation quantique à boucles ou la théorie des cordes, mais aucune d’entre elles n’est satisfaisante, et encore moins confirmée expérimentalement. Daniel Persson, professeur au département de sciences mathématiques de l’université de technologie Chalmers et co-auteur de l’étude, explique dans un communiqué : « Nous nous efforçons de comprendre les lois de la nature, et le langage dans lequel elles sont écrites correspond aux mathématiques. Lorsque nous cherchons des réponses à des questions en physique, nous sommes souvent amenés à de nouvelles découvertes en mathématiques également. Cette interaction est particulièrement importante dans la recherche de la gravité quantique – où il est extrêmement difficile de réaliser des expériences ».
Un exemple de phénomène nécessitant ce type de description intégrée est celui des trous noirs. Un trou noir se développe lorsqu’une étoile suffisamment massive s’éteint et s’écroule sous sa propre force gravitationnelle. Toute la masse est alors concentrée dans un volume extrêmement réduit. La description de la mécanique quantique des trous noirs quant à elle, implique des mathématiques extrêmement avancées.
Récemment, à travers leurs recherches, Daniel Persson et Robert Berman, en collaboration avec Tristan Collins du MIT, ont démontré mathématiquement comment la gravité émerge d’un système mécanique quantique spécial, dans un modèle simplifié de gravité quantique appelé le « principe holographique ». L’article est publié dans la revue Nature Communications.
Principe holographique et théorie simplifiée
Le principe holographique est, de façon simple, la conception de l’univers avec des dimensions en moins. Habituellement, nous nous considérons comme évoluant dans un univers en 3 dimensions. Or, ici, toutes les données et informations, codant la manière dont se déplacent et interagissent les particules de notre univers, seraient plus une surface plane qu’un espace 3D, un peu comme la sensation de profondeur qui apparaît lorsque nous regardons un autocollant holographique plat. En d’autres termes, tout ce qui est contenu dans un volume d’espace peut être décrit par l’information contenue à la surface de ce volume. Puisque la quantité maximale d’informations d’un volume ne peut être supérieure à celle stockée à la surface de celui-ci, alors l’information emmagasinée à la surface d’un volume est amplement suffisante pour le décrire.
D’ailleurs, Leonard Susskind, professeur à Stanford, l’un des pères de la théorie des cordes (cherchant à unifier la mécanique quantique et la gravitation), postule que le volume total de l’univers, dans lequel nous évoluons, n’est en réalité qu’un hologramme dont la source est l’information encodée à la surface de ce dernier. Cela permettrait ainsi la projection d’un hologramme isomorphe (en tout point identique) composant le volume occupé par notre univers.
Si notre espace-temps devait se recourber suffisamment sur lui-même pour créer une sorte de cylindre, il aurait nécessairement une frontière « plate ». Ces théories lourdes de la gravité quantique auraient alors des théories correspondantes, sur cette frontière, à l’image d’un hologramme isomorphe, avec lesquelles il est beaucoup plus simple de travailler. Cette nouvelle étude mélange donc efficacement différents modèles régissant les particules et leurs ondes, ainsi que la façon dont elles se transforment en champs dans un cadre holographique, pour parvenir à l’équivalent mathématique de la gravité fonctionnant comme une conséquence naturelle de ces interactions.
Robert Berman, co-auteur de l’étude et professeur au département des sciences mathématiques à l’Université de technologie Chalmers, déclare : « Le défi consiste à décrire comment la gravité apparaît comme un phénomène ‘émergent’. Tout comme les phénomènes quotidiens, tels que l’écoulement d’un liquide émergent des mouvements chaotiques de gouttelettes individuelles, nous voulons décrire comment la gravité émerge du système mécanique quantique au niveau microscopique ».
Origine de l’expansion accélérée de l’Univers
De surcroît, ces nouveaux travaux pourraient également ouvrir la voie à des explications concernant d’autres phénomènes à grande échelle, tels que le « carburant » en expansion de l’Univers que nous appelons actuellement l’énergie noire.
Dans la théorie de la relativité générale d’Einstein, la gravité est décrite comme un phénomène géométrique. Tout comme un matelas s’incurve sous le poids d’une personne, les objets massifs peuvent courber la forme géométrique de l’univers. Mais selon la théorie d’Einstein, même l’espace vide possède une structure géométrique riche. Si nous pouvions zoomer et regarder ce vide à un niveau microscopique, nous verrions des fluctuations ou des ondulations mécaniques quantiques, appelées « énergie noire ». C’est cette mystérieuse forme d’énergie qui, d’un point de vue plus large, serait responsable de l’expansion accélérée de l’univers.
En conclusion, cette démonstration mathématique pourrait conduire à de nouvelles connaissances sur la manière et la raison pour lesquelles ces ondulations microscopiques de la mécanique quantique se produisent, ainsi que sur la relation entre la théorie de la gravité d’Einstein et la mécanique quantique. Mais savoir si notre univers se courbe suffisamment sur lui-même pour avoir le type de frontière nécessaire au principe holographique, reste une question ouverte.
Daniel Persson conclut ainsi : « Ces résultats ouvrent la possibilité de tester d’autres aspects du principe holographique, comme la description microscopique des trous noirs. Nous espérons également pouvoir utiliser ces nouvelles connexions à l’avenir pour innover en mathématiques ».