Bien que le modèle cosmologique standard rende compte de nombreux phénomènes cosmologiques observés dans l’Univers, il contient encore certaines lacunes, comme la nature de la matière et l’énergie noire, qui poussent certains cosmologues à chercher des alternatives. L’une de ces alternatives, développée notamment par le célèbre physicien Neil Turok, propose que notre Univers posséderait un alter-ego d’antimatière au-delà du Big Bang.
Notre univers pourrait être le reflet d’un univers d’antimatière s’étendant au-delà du Big Bang. C’est ce que suggère un nouveau modèle cosmologique — développé par des physiciens du Perimeter Institute sous la direction de Neil Turok — posant l’existence d’un « anti-univers » qui, couplé au nôtre, préserve une règle fondamentale de la physique appelée symétrie CPT. Le modèle doit encore être approfondi et travaillé mais, selon ses auteurs, il explique naturellement l’existence de la matière noire.
Le modèle cosmologique standard affirme que l’Univers est apparu il y a environ 13.8 milliards d’années suite au Big Bang, pour refroidir ensuite et donner naissance aux particules, noyaux atomiques, atomes, étoiles, planètes, galaxies, etc. Toutefois, selon Turok, en s’appuyant sur des paramètres ad-hoc, ce modèle ressemble de plus en plus à la description du système solaire donnée par Ptolémée.
Un de ces paramètres, dit-il, est la brève période d’expansion violente et rapide connue sous le nom d’inflation cosmique, pouvant expliquer l’uniformité à grande échelle de l’univers (homogénéité et isotropie). « Il y a cette tendance à expliquer tout nouveau phénomène par l’invention d’une nouvelle particule ou d’un nouveau champ ; je pense que cela pourrait être erroné » explique Turok.
Au lieu de cela, Turok et son collègue Latham Boyle, ont entrepris de développer un modèle de l’Univers capable d’expliquer tous les phénomènes observables basés uniquement sur les particules et les champs connus. Ils se sont demandés s’il existait un moyen naturel d’étendre l’univers au-delà du Big Bang. « Nous avons constaté qu’il y en avait un » déclare Turok.
Un modèle cosmologique respectant la symétrie CPT
Ils ont considéré que l’Univers dans son ensemble obéit à la symétrie CPT. Ce principe fondamental exige que tout processus physique reste identique si le temps est inversé, l’espace inversé et les particules remplacées par des antiparticules. Turok rappelle que ce n’est pas le cas pour l’univers qui nous entoure, où le temps s’écoule à mesure que l’espace se développe, et où il y a plus de matière que d’antimatière.
La structure qui respecte la symétrie serait une paire univers-anti-univers. L’anti-univers s’étendrait de l’autre côté du Big Bang, il serait dominé par l’antimatière et ses propriétés spatiales seraient inversées par rapport à celles de notre univers — une situation analogue à la création de paires électron-positron dans le vide, selon Turok.
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Turok, qui a également collaboré avec Kieran Finn de l’Université de Manchester au Royaume-Uni, reconnaît que le modèle nécessite encore beaucoup de travail et qu’il risque de faire face à de nombreuses critiques. Déjà, durant l’étape de peer-review lors de la soumission de l’article dans la revue Physical Review Letters, il a été indiqué aux auteurs que pour être valable, leur modèle devait nécessairement expliquer les fluctuations de température du fond diffus cosmologique. Un travail toujours en cours selon Turok.
Ce dernier explique que les fluctuations sont dues à la nature quantique de l’espace-temps près de la singularité du Big Bang. Alors que l’avenir lointain de notre univers et le passé lointain de l’anti-univers fourniraient des points fixes (classiques), toutes les permutations quantiques possibles existeraient au centre.
Lui et ses collègues ont compté les instances de chaque configuration possible de la paire CPT et, parmi celles-ci, celle qui est la plus susceptible d’exister. « Il s’avère que l’univers le plus probable est celui qui ressemble au nôtre » dit-il. Turok ajoute que l’incertitude quantique signifie que l’univers et l’anti-univers ne sont pas des images identiques de l’autre, ce qui évite des problèmes délicats tels que le libre arbitre.
L’émergence naturelle de la matière noire dans le modèle cosmologique CPT
Turok affirme que le nouveau modèle constitue un candidat naturel à la matière noire. Ce candidat est une particule très massive et insaisissable appelée neutrino « stérile », censée rendre compte de la masse finie (très petite) de neutrinos gauches plus courants. Selon le physicien, la symétrie CPT peut être utilisée pour déterminer l’abondance des neutrinos droits dans notre univers. En prenant en compte la densité de matière noire observée, il indique que celle-ci donne une masse pour le neutrino droit d’environ 5×108 GeV — environ 500 millions de fois la masse du proton.
Il décrit cette masse comme étant « incroyablement » similaire à celle dérivée de deux signaux radio anormaux détectés par l’antenne antarctique à impulsions transitoires (ANITA). L’expérience en montgolfière, qui survole l’Antarctique, observe les rayons cosmiques qui traversent l’atmosphère. Cependant, à deux reprises, ANITA semble avoir détecté des particules avec des masses comprises entre 2 et 10×108 GeV.
Étant donné que les neutrinos ordinaires interagiraient presque certainement avant d’aller aussi loin, Thomas Weiler de l’Université Vanderbilt et ses collègues ont récemment suggéré que les coupables étaient en réalité des neutrinos droits en train de se désintégrer.
Turok, cependant, signale un problème : le modèle symétrique CPT exige que ces neutrinos soient complètement stables. Mais il reste prudemment optimiste. « Il est possible de faire en sorte que ces particules se désintègrent avec l’âge de l’univers, mais cela nécessite un petit ajustement de notre modèle. Nous sommes donc toujours intrigués, mais je ne dirais certainement pas que nous sommes convaincus à ce stade » conclut-il.