Sur les petites échelles de distance, le modèle cosmologique standard prévoit l’organisation gravitationnelle d’ensembles de galaxies et leur synchronisation. Cependant, depuis plusieurs années, des études rapportent des synchronisations entre galaxies et quasars parfois éloignés de plusieurs milliards d’années-lumière. Bien que les cosmologistes n’aient toujours pas élucidé le mécanisme sous-jacent à cet étrange phénomène de synchronisation, ce dernier semble au premier abord violer le principe cosmologique du modèle standard.
Les galaxies situées à quelques millions d’années-lumière les unes des autres peuvent interagir gravitationnellement de manière prévisible, mais les astrophysiciens ont observé des schémas mystérieux entre des galaxies lointaines qui transcendent ces interactions locales. Ces découvertes suggèrent l’influence de ce qu’on appelle des « structures à grande échelle » qui, comme leur nom l’indique, sont les plus grands objets connus de l’Univers.
Ces structures sombres sont constituées d’hydrogène et de matière noire et se présentent sous la forme de filaments, de feuilles et de nœuds qui relient les galaxies dans un vaste réseau appelé réseau cosmique. Nous savons que ces structures ont des implications majeures sur l’évolution et les mouvements des galaxies, mais nous avons à peine effleuré la surface de la dynamique qui les anime.
Les cosmologistes souhaitent acquérir ces nouveaux détails, car certains de ces phénomènes remettent en cause les idées les plus fondamentales sur l’Univers. « C’est en fait la raison pour laquelle tout le monde étudie en permanence ces structures à grande échelle » déclare Noam Libeskind, cosmologue à l’Institut d’astrophysique de Leibniz (AIP). « C’est une façon de sonder et de contraindre les lois de la gravité et la nature de la matière, de la matière noire, de l’énergie noire et de l’Univers ».
Des galaxies synchronisées sur de très grandes échelles de distance
Une étude publiée dans The Astrophysical Journal a révélé que des centaines de galaxies tournaient en synchronisation avec les mouvements de galaxies distantes de plusieurs dizaines de millions d’années-lumière. « Cette découverte est assez nouvelle et inattendue. Je n’ai jamais vu de rapport d’observations ni de prédictions de simulations numériques, liés à ce phénomène » déclare Joon Hyeop Lee, astronome à l’Institut coréen d’astronomie et des sciences spatiales.
Lee et ses collègues ont étudié 445 galaxies à moins de 400 millions d’années-lumière de la Terre et ont remarqué que beaucoup de celles tournant en direction de la Terre avaient des voisines qui se dirigeaient vers la Terre, tandis que celles qui tournaient dans la direction opposée avaient des voisines qui s’éloignaient de la Terre. « La cohérence observée doit avoir un rapport avec les structures à grande échelle, car il est impossible que les galaxies séparées par six mégaparsecs [environ 20 millions d’années-lumière] interagissent directement les unes avec les autres ».
Les chercheurs suggèrent que les galaxies synchronisées pourraient être intégrées dans la même structure à grande échelle, qui tourne très lentement dans le sens inverse des aiguilles d’une montre. Cette dynamique sous-jacente pourrait créer une sorte de cohérence entre la rotation des galaxies étudiées et les mouvements de leurs voisines, bien que Lee ait averti qu’il faudrait beaucoup plus de recherches pour corroborer les conclusions de son équipe.
Un alignement mystérieux de quasars séparés de plusieurs milliards d’années-lumière
Bien que cette itération particulière de galaxies étrangement synchronisées soit nouvelle, les astrophysiciens ont observé d’étranges cohérences entre les galaxies à des distances encore plus grandes. En 2014, une équipe a observé de curieux alignements de trous noirs supermassifs au cœur des quasars, d’anciennes galaxies ultra-lumineuses s’étendant sur des milliards d’années-lumière.
Dirigés par Damien Hutsemékers, astronome à l’Université de Liège en Belgique, les chercheurs ont pu observer cette étrange synchronicité en observant l’Univers alors qu’il n’avait que quelques milliards d’années, en utilisant le Very Large Telescope (VLT) au Chili. Les observations ont enregistré la polarisation de la lumière de près de 100 quasars, que l’équipe a ensuite utilisée pour reconstruire la géométrie et l’alignement des trous noirs au niveau de leurs cœurs.
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Les résultats ont montré que les axes de rotation de 19 quasars de ce groupe étaient parallèles, alors qu’ils étaient séparés de plusieurs milliards d’années-lumière. La découverte, publiée dans la revue Astronomy & Astrophysics, indique que des structures à grande échelle ont influencé la dynamique des galaxies sur de vastes distances dans l’Univers primitif.
« Les axes de rotation des galaxies sont connus pour s’aligner sur des structures à grande échelle telles que les filaments cosmiques, mais cela se produit à des échelles plus petites » explique Hutsemékers « Cependant, rien n’explique actuellement pourquoi les axes des quasars sont alignés sur l’axe du grand groupe dans lequel ils sont intégrés ».
La potentielle violation du principe cosmologique
Le secret de ces galaxies synchronisées pourrait constituer une menace pour le principe cosmologique. Ce principe stipule que l’univers est fondamentalement uniforme et homogène aux très grandes échelles. Mais « l’existence de corrélations dans des axes de quasars à des échelles aussi extrêmes constituerait une grave anomalie pour le principe cosmologique » notent Hutsemékers et ses collègues dans leur étude. Cependant, Hutsemékers a averti qu’il faudrait repérer et étudier un plus grand nombre de ces structures pour prouver qu’il s’agissait là d’une violation du principe cosmologique.
L’un des débats les plus controversés de la cosmologie ces jours-ci est centré sur la manière inattendue selon laquelle les galaxies naines semblent s’aligner parfaitement autour de plus grandes galaxies hôtes telles que la Voie lactée. Cette découverte « suggère que quelque chose ne va pas avec les simulations cosmologiques standard », selon une étude de 2018, dirigée par Oliver Müller, astronome à l’Université de Strasbourg en France.
Dans une étude de 2015, Libeskind et ses collègues ont suggéré que des filaments de la toile cosmique pourraient guider ces galaxies organisées, un processus qui pourrait être cohérent avec le modèle ΛCDM. En fin de compte, il n’y a pas encore de réponse concluante à ce dilemme.