Sur le plus grand continent de la planète, le changement climatique accélère la désertification et réduit chaque année la superficie des terres arables, menaçant l’alimentation de populations entières. Bien que l’Afrique possède encore des réserves relativement importantes, la pression sur les rares terres cultivées ne cesse d’augmenter, épuisant rapidement leurs nutriments. Pour tenter de pallier ces problèmes et adopter des méthodes agricoles pérennes et durables, des pays comme le Niger ont testé à grande échelle la fertilisation avec l’urine humaine. Surmontant les préjugés, un groupe de femmes nigériennes est parvenu à augmenter considérablement (de 30%) les rendements agricoles grâce à de l’engrais d’urine humaine désinfectée, baptisé « Oga ».
D’après la FAO, l’Afrique détiendrait 60% de l’ensemble des terres cultivables et non exploitées de la planète. Cependant, l’inégalité dans la répartition de ces terres est si marquée que certaines parties de sa population en viennent à cultiver des parcelles quasiment arides. Les rudes conditions météorologiques engendrées par le changement climatique exacerbent davantage cette inégalité et réduisent fortement les rendements agricoles.
Sur le continent où la croissance démographique est la plus forte au monde, une grande partie des habitants vit de l’agriculture, dont la majorité est autoconsommée. Certaines régions sont si démunies qu’elles n’ont de choix que de cultiver toute l’année afin de pouvoir se nourrir. Sans jachère (état d’une terre labourable qu’on laisse temporairement reposer afin qu’elle puisse se régénérer), les terres cultivables subissent une telle pression qu’elles deviennent infertiles au fil des ans, en n’ayant pas le temps de régénérer leurs nutriments.
Arborez un message climatique percutant 🌍
De plus, beaucoup d’agriculteurs n’ont les moyens d’accéder ni aux bonnes techniques agricoles ni aux engrais. L’autosuffisance alimentaire figure alors parmi les plus grands défis de l’Afrique, et la plupart de ses pays dépendent des importations pour nourrir leur population.
Dans beaucoup de pays d’Afrique, comme le Niger, la gestion des terres agricoles ainsi que les problèmes de ressources pour l’agriculture sont souvent confiés aux femmes. L’Institut national de recherche agricole du Niger a alors tenté de refertiliser les sols en testant un nouvel engrais à base d’urine, avec un groupe d’agricultrices.
Le groupe de recherche a réussi à redorer l’image de cette pratique vieille de plusieurs siècles, en désinfectant l’urine grâce à une technique bon marché. D’après les résultats parus dans la revue Springer Link, la technique de production de l’engrais Oga permettrait une production agricole circulaire et respectueuse de l’environnement.
Surmonter les préjugés
La première étape pour pouvoir tester le nouvel engrais a été de surmonter les barrières sociales, religieuses et culturelles pour ouvrir les discussions sur l’utilisation de l’urine humaine. La fertilisation par l’urine a en effet déjà été utilisée par le passé, mais avec le temps, l’idée de produire de la nourriture avec nos propres déchets en a rebuté plus d’un.
Les agriculteurs ont alors été obligés de se tourner vers des engrais de synthèse pour apporter l’azote, les phosphates et le potassium (NPK) nécessaires, pour obtenir un rendement satisfaisant. Ces engrais sont produits par le biais de réactions chimiques très énergivores, qui émettent de grandes quantités de CO2 dans l’atmosphère.
Pourtant, l’urine contient du NPK exploitable et facile d’accès, sans nécessiter beaucoup d’énergie. Relativement stérile à la base, elle peut être facilement débarrassée de toutes traces éventuelles de pathogènes en la laissant reposer à 22-24 °C pendant 2 à 3 mois. À grande échelle, cela permettrait également de réduire les dépenses de traitement des déchets, tout en réduisant la pollution par les eaux usées.
Efficace et respectueux de l’environnement
Les agricultrices volontaires pour tester le nouvel engrais cultivaient du mil à chandelle (Cenchrus americanus), la céréale de base de la région. Elles ont ensuite été divisées en deux groupes, dont l’un, le groupe témoin, a continué à utiliser des méthodes agricoles traditionnelles. L’autre groupe a utilisé l’engrais Oga combiné ou non avec du fumier. Les femmes ont également reçu des formations sur l’utilisation de l’engrais en toute sécurité, ainsi que sur les techniques de dilution.
Sur trois ans d’utilisation et 681 essais sur les sols peu fertiles et sablonneux du Niger, une augmentation moyenne de 30% du rendement a été observée sur ceux où l’Oga avait été utilisé. Après avoir enregistré des hausses de rendements avec l’Oga combiné au fumier organique, les agricultrices ont notamment été suffisamment convaincues pour l’utiliser seules. De plus, la différence a été si nette que la pratique s’est étendue à d’autres régions alentour. Deux années après les premiers essais, plus d’un millier d’agricultrices avaient commencé à utiliser l’Oga pour fertiliser les sols.