Dans le cadre d’une campagne gouvernementale visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre, l’Allemagne vient d’inaugurer une nouvelle installation complètement neutre en carbone, conçue pour fabriquer du kérosène. Ce dernier est synthétisé à partir d’eau et du dioxyde de carbone de l’air, tandis que l’usine fonctionne grâce à l’électricité produite par les parcs éoliens situés à proximité. Objectif : rendre l’industrie de l’aviation plus « propre ».
Parce qu’elle émet la même quantité de gaz à effet de serre que celle qui est extraite de l’environnement pour le process, l’installation permet de produire un carburéacteur neutre en carbone. « L’ère de la combustion du charbon, du pétrole et du gaz naturel touche à sa fin », a déclaré la ministre fédérale de l’Environnement, Svenja Schulze, lors de la cérémonie d’inauguration.
Le transport aérien représente 2,5% des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Avec 3,4 milliards de passagers attendus pour 2022 (et dix milliards en 2050 !) selon les estimations de l’Association du transport aérien international (IATA), il est difficile d’imaginer un monde sans avions. Il est donc urgent de mettre au point des alternatives au kérosène traditionnel, plus respectueuses de l’environnement. Cette annonce tombe à pic alors que les membres de l’IATA — qui réunit 290 compagnies aériennes responsables de 83% du trafic aérien mondial — viennent de promettre la neutralité carbone d’ici 2050.
Un produit onéreux qui deviendra bientôt plus compétitif
La nouvelle installation, conçue par Atmosfair, est située à Werlte, au nord-ouest de l’Allemagne. Il s’agit de la première usine commerciale au monde de fabrication de kérosène synthétique. Pour le moment, cette usine ne peut produire qu’environ 336 gallons de carburant par jour — soit une quantité suffisante pour faire le plein d’un petit avion de ligne toutes les trois semaines. Mais c’est bien peu au regard des 95 milliards de gallons de carburant utilisés par les compagnies aériennes commerciales en 2019, avant que la pandémie n’impacte durement le secteur.
Le concept est toutefois très prometteur. Au cours du processus, l’hydrogène de l’eau est combiné avec du dioxyde de carbone pour produire du pétrole brut, qui peut ensuite être raffiné en carburéacteur. Le CO2 provient en partie de l’air et en partie d’une installation de biogaz voisine ; à terme, il est prévu de n’utiliser que du CO2 directement capté dans l’air.
La combustion du kérosène synthétique ne libère dans l’atmosphère que la quantité de CO2 utilisée pour la production. Les experts affirment que les carburants électriques peuvent remplacer les carburants fossiles sans nécessiter de modifications techniques majeures de l’avion. Il n’est donc pas impossible de voir ce type d’installation se généraliser à l’avenir.
L’objectif d’Atmosfair est de montrer que le processus est technologiquement faisable et surtout, économiquement viable. Son premier client : la compagnie allemande Lufthansa. Dans un premier temps, le prix de ce e-kérosène sera bien plus élevé que celui du carburéacteur ordinaire, relève l’Associated Press. Le groupe allemand n’a cependant pas précisé de montant, mais le directeur général, Dietrich Brockhagen, affirme qu’un prix aux alentours de cinq euros le litre (soit 22,3 $ le gallon) est envisageable. Certes, on est encore bien au-dessus du tarif du kérosène classique (actuellement à 2,05 $ le gallon), mais Atsmofair souligne que les taxes carbone qui font grimper le prix des combustibles fossiles, finiront par rendre son produit plus compétitif.
65% d’émissions en moins grâce aux carburants durables
Taxer le kérosène pour diminuer l’empreinte des avions sur l’environnement, c’est en effet l’une des mesures phares du nouveau plan climat de l’Union européenne pour diminuer ses émissions de gaz à effet de serre. Par ailleurs, la demande devrait rapidement croître du fait que les autorités aux niveaux national et européen mettent en place des quotas pour l’utilisation de carburant électrique que les compagnies aériennes devront respecter à l’avenir. L’Union européenne pourrait ainsi exiger des compagnies que 0,7% de leurs besoins en kérosène soient couverts par des carburants électriques — ce chiffre pourrait passer à 28% d’ici 2050.
Si la demande augmente, de nouvelles usines de e-kérosène devraient rapidement voir le jour. Svenja Schulze reconnaît que son pays n’est sans doute pas le meilleur endroit au monde pour produire de grandes quantités de carburant électrique, mais d’autres pays, plus ensoleillés — donc plus à même de produire de l’électricité à base d’énergie solaire, qui demande moins d’investissement que l’éolien — pourraient constituer de nouvelles opportunités d’exportation pour la technologie d’Atmosfair.
« C’est un nouveau paradigme. […] Grâce à l’énergie solaire bon marché, principalement, il sera possible à l’avenir de produire des carburants électriques aussi bon marché que les carburants fossiles actuels », explique Falko Ueckerdt, chercheur principal et chef d’équipe à l’Institut de recherche sur l’impact climatique de Potsdam, qui n’est pas impliqué dans ce projet. En attendant, le surcoût de ce kérosène plus propre devra être supporté par toutes les parties concernées, à savoir les compagnies aériennes, les consommateurs et leurs intermédiaires, souligne Dorothea von Boxberg, la directrice de Lufthansa Cargo.
Pour atteindre son objectif ambitieux d’atteindre zéro émission de carbone d’ici 2050, l’IATA mise largement sur les carburants d’aviation durables (ou SAF pour sustainable aviation fuels). Le président américain a lui-même annoncé que tout le carburéacteur à base de kérosène serait remplacé par du carburant durable d’ici 2050. Le scénario actuel de l’IATA prévoit que 65% des émissions de carbone soient réduites grâce aux SAF et 13% grâce à l’introduction de nouvelles technologies de propulsion, telles que l’hydrogène ; les émissions restantes seraient éliminées par captage et stockage, ou compensées.