Une équipe d’astronomes du Centre international de recherche en radioastronomie (ICRAR) de Perth, en Australie, rapporte la découverte de mystérieuses émissions radio provenant de l’amas de galaxies Abell 2877, situé à 340 millions d’années-lumière de la Terre. Cette source a été surnommée « USS Jellyfish », en raison de son spectre particulièrement raide (dit USS pour ultra-steep-spectrum) et de la forme tentaculaire dessinée par les émissions.
Ce spectre radio et la forme plutôt atypique du phénomène suggèrent qu’il pourrait être causé par la ré-accélération et la compression de plusieurs populations d’électrons âgés, provenant de l’activité historique du noyau galactique actif. Ces nuages d’électrons « revenant à la vie » sont appelés « phénix radio » par les astronomes, car ces électrons de haute énergie émettent principalement aux fréquences radio.
Les ondes émises par l’amas de galaxies prennent la forme d’une gigantesque méduse, avec une tête et des tentacules, qui s’étend sur près de 1,2 million d’années-lumière. Cette méduse cosmique n’émet que les fréquences radio les plus basses et de ce fait, ne peut pas être détectée à des fréquences plus élevées. « Il s’agit d’une source invisible pour la plupart des radiotélescopes que nous utilisons depuis 40 ans », explique Melanie Johnston-Hollitt, astrophysicienne à l’Université Curtin de Perth.
Une galaxie-méduse atypique
Non seulement l’USS Jellyfish émet des ondes radio à très basse fréquence, mais elle se trouve au sein de l’amas de galaxies Abell 2877, dans la constellation du Phénix ; or, cette constellation de l’hémisphère sud est difficilement observable par la plupart des installations de notre hémisphère. Cette « méduse » a été découverte par un collègue de Johnston-Hollitt, Torrance Hodgson, via l’analyse des données fournies par le Murchison Widefield Array (MWA) — un radiotélescope basses fréquences géant, composé de plus de 4000 antennes, situé en Australie-Occidentale, dédié à l’étude de l’Univers primitif ; il constitue une partie du futur super radiotélescope Square Kilometre Array (SKA).
L’équipe a observé l’amas de galaxies pendant 12 heures, à cinq fréquences radio comprises entre 87,5 MHz et 215,5 MHz. « Nous avons examiné les données et, en baissant la fréquence, nous avons vu une structure fantomatique semblable à une méduse commencer à émerger », explique Hodgson. Ces ondes radio basses fréquences mesurent plus d’un mètre de long et correspondent à des photons aux énergies les plus basses. Il s’avère que l’USS Jellyfish est environ 30 fois plus lumineuse à 87,5 MHz — soit une fréquence similaire à celle d’une station de radio FM — qu’à 185,5 MHz ; vers 200 MHz, elle semble disparaître complètement.
La découverte est d’autant plus spectaculaire que l’objet est très différent des autres galaxies-méduses identifiées auparavant. En effet, plusieurs galaxies de forme similaire ont été découvertes au cours des dernières décennies. Selon de récentes recherches, ces galaxies-méduses se formeraient lors de collisions d’amas de galaxies. Ce sont habituellement des galaxies individuelles traversant le gaz chaud d’un amas ; ce gaz chaud arracherait une partie du propre gaz de la galaxie, créant un sillage en forme de tentacules. Mais l’USS Jellyfish, beaucoup plus grosse, semble quant à elle s’être formée via l’interaction de gaz intergalactique et d’électrons.
Des trous noirs supermassifs à l’origine du phénomène
Hodgson et ses collègues ont noté que deux galaxies de l’amas Abell 2877 coïncident avec les gammes d’ondes radio les plus brillantes de la « tête » de l’USS Jellyfish. Selon les chercheurs, ces galaxies abritent probablement des trous noirs supermassifs en leur centre. Grâce à diverses simulations informatiques, l’équipe a notamment découvert que des matériaux d’accrétion évoluaient autour de ces trous noirs il y a probablement 2 milliards d’années environ. Ce faisant, des disques de gaz chaud se sont formés autour de chacun d’eux, crachant d’énormes jets de plasma dans l’amas de galaxies environnant.
Or, ces jets de matière comprenaient des électrons, tourbillonnant autour des champs magnétiques à une vitesse avoisinant celle de la lumière, de sorte qu’ils émettaient des ondes radio. Cependant, au fil du temps, ces électrons ont perdu de l’énergie, et les plus énergétiques d’entre eux — qui émettaient les fréquences radio les plus élevées — se sont estompés. Ils n’ont toutefois pas complètement disparu : une vague de gaz a traversé tout l’amas, « réveillant » et ré-accélérant au passage tous les électrons se trouvant autour des deux galaxies. Ce qui a permis aux astronomes de les détecter pour la première fois.
« C’est un processus très doux. Les électrons n’ont pas reçu tant d’énergie que cela, ce qui signifie qu’ils ne s’activent pas à des fréquences élevées », explique Johnston-Hollitt. C’est donc la raison pour laquelle les électrons émettent des ondes radio avec des énergies et des fréquences relativement basses, conférant à l’USS Jellyfish le spectre extrême qu’il affiche aujourd’hui. « Aucune autre émission extragalactique comme celle-ci, disparaissant aussi rapidement, n’a été observée », précisent les chercheurs.
Le professeur Johnston-Hollitt a par ailleurs ajouté que le SKA permettra d’avoir une vue inégalée de l’univers des basses fréquences. « Le SKA sera des milliers de fois plus sensible et aura une résolution bien meilleure que le MWA », explique-t-elle. Déployé sur deux sites, en Afrique du Sud, et en Australie, le SKA devrait être mis en service en 2024 ; près de 10% du réseau final sera alors opérationnel, dont 130 000 antennes basses fréquences en Australie. Dès lors, d’autres mystérieuses galaxies-méduses seront susceptibles d’être découvertes.