Toutes les 60 secondes, une personne meurt du paludisme, principalement des enfants d’Afrique subsaharienne. D’importants progrès ont été réalisés dans la lutte contre cette maladie parasitaire (la plus répandue dans le monde), mais en l’absence de vaccin efficace, elle reste l’une des plus meurtrières de nos jours. Récemment, des chercheurs ont mis au point un vaccin expérimental utilisant CRISPR pour modifier génétiquement les parasites des moustiques. Lors de la piqûre de ces derniers, le paludisme est transmis sans rendre les gens malades. Une avancée qui pourrait sauver des millions de vies.
Le paludisme est transmis par la piqûre de moustiques anophèles femelles infectés (appelés « vecteurs du paludisme »), qui introduisent les parasites présents dans leur salive — les sporozoïtes — dans le système circulatoire d’une personne. Les symptômes courants comprennent la fièvre, les maux de tête, les frissons et les vomissements qui, dans les cas graves, peuvent évoluer vers le coma ou la mort s’ils ne sont pas traités.
Le paludisme est répandu dans les régions tropicales et subtropicales dans une large bande autour de l’équateur, y compris une grande partie de l’Afrique subsaharienne, de l’Asie et des Amériques. Selon le rapport 2021 de l’OMS, on estime à 241 millions le nombre de cas de paludisme et à 627 000 le nombre de décès dus à la maladie dans le monde, soit une augmentation de 14 millions de cas et de 69 000 décès par rapport à l’année précédente. Les femmes enceintes et les enfants de moins de cinq ans représentent 80% de ces décès.
Si des progrès ont certes été faits à partir des années 2000, depuis cinq ans, la lutte contre le paludisme stagne et a même reculé, notamment du fait de la pandémie de COVID-19. Récemment, une équipe de chercheurs, du Seattle Children’s Research Institute et des National Institutes of Health, ont réussi à atténuer les parasites du moustique par édition génétique, permettant au système immunitaire de les combattre plus facilement. Leurs résultats prometteurs ont été publiés dans la revue Science Translational Medicine.
Un vaccin induisant une réponse immunitaire précoce
Pour les chercheurs, les parasites du moustique responsable du paludisme génétiquement modifiés constituent une plate-forme potentielle pour la création de vaccins contre le paludisme (par le biais de suppressions de gènes ciblées), contenant ainsi l’agent infectieux (le parasite) en entier sous forme atténuée.
En effet, lorsqu’un moustique infecté par le parasite du paludisme pique une personne, les parasites (Plasmodium falciparum) se rendent au foie et se multiplient. Ce stade hépatique est asymptomatique ; les symptômes ne commencent que lorsque les parasites sortent du foie et infectent les globules rouges. Les scientifiques tentent d’agir avant ce stade, grâce à l’édition génétique médiée par CRISPR.
Pour rappel, CRISPR est une sorte de ciseaux moléculaires, permettant aux chercheurs de couper des parties d’ADN codant pour des gènes dysfonctionnels ou induisant des maladies. Ici, les chercheurs ont effectué ces délétions dans les gènes P52, P36 et SAP1 des parasites, créant alors le vaccin PfGAP3KO. Les trois délétions du gène empêchent le parasite de se répliquer dans le foie et de pénétrer dans les globules rouges, ce qui le rend ainsi utilisable pour un vaccin.
Des moustiques à la place des seringues
Étant donné que la création d’un vaccin injectable était trop coûteuse et prenait trop de temps à ce stade de la recherche, les scientifiques ont vacciné les 26 participants de l’étude par des moustiques infectés par PfGAP3KO. Cela s’est fait par trois ou cinq phases d’immunisation avec environ 200 piqûres de moustiques au total.
Le Dr Sean Murphy, médecin et scientifique de l’Université de Washington à Seattle, auteur principal de l’étude, explique à NPR reports : « Nous utilisons les moustiques comme s’il s’agissait de 1000 petites seringues volantes ».
Lorsque 14 des 26 volontaires ont ensuite été exposés à des moustiques infectés par des parasites non modifiés, 50% d’entre eux n’ont pas développé d’infection au stade sanguin. Un sous-ensemble de ces individus a été soumis à une seconde exposition, 6 mois plus tard, et est resté partiellement protégé.
Les chercheurs pensent que les vaccins vivants de ce type produiront une meilleure protection que ceux basés sur des protéines uniques, comme le vaccin antipaludique RTS,S du fabricant de médicaments GlaxoSmithKline approuvé par l’OMS en 2021, mais efficace qu’à 30 ou 40%. En effet, le vaccin PfGAP3KO stimule lui des réponses immunitaires plus larges et plus protectrices — avec un effet durant quelques mois.
Le Dr Ashley Vaughan, professeur adjoint de pédiatrie à la faculté de médecine de l’Université de Washington et co-auteur, souligne dans un communiqué : « RTS,S est un vaccin sous-unitaire, de sorte que le système immunitaire répond à un seul antigène, alors que notre vaccin — parce qu’il s’agit d’un parasite vivant génétiquement atténué — exprime des milliers d’antigènes. Vous obtiendrez donc une réponse immunitaire à bon nombre de ces antigènes, et parce qu’elle est si large, elle est plus susceptible d’être protectrice ».
De plus, ce vaccin semble bien toléré, les seuls événements indésirables étaient principalement une urticaire localisée liée aux nombreuses piqûres de moustiques. C’est pourquoi les chercheurs tentent de développer actuellement une version améliorée du vaccin et injectable par de vraies seringues. Ce vaccin aurait de nouvelles caractéristiques afin de stimuler une réponse immunitaire encore plus protectrice. En particulier, une dose initiale d’agents infectieux atténués plus élevée conduirait à une plus grande protection pendant une plus longue période.
Vaughan conclut : « Nous espérons lancer un essai clinique avec une version injectable de notre dernière version de vaccin en 2023 ». Les scientifiques s’associent à la société de biotechnologies Sanaria, basée dans le Maryland, qui a déjà participé à des campagnes de vaccination dans les zones touchées, pour produire les parasites modifiés. L’enjeu de ce vaccin est aussi une version rentable et accessible, car le paludisme est une maladie affectant en très grande majorité les populations défavorisées, les plus éloignées des systèmes de santé.