Le 7 avril dernier, l’Agence européenne des médicaments (EMA) a déclaré qu’il existait « un lien possible » entre le vaccin développé par l’Université d’Oxford et AstraZeneca, baptisé Vaxzevria, et de rares cas de caillots sanguins. Dès lors, l’EMA a ouvert une enquête sur le sujet. De nombreuses personnes refusent désormais de se voir injecter ce produit. Ces craintes sont-elles fondées ?
Depuis la signalisation de certains cas de caillots sanguins associés à l’administration du vaccin d’AstraZeneca, la méfiance est de mise. En France, faute de volontaires, certains centres de vaccination ne proposant que ce vaccin, à Calais et à Gravelines notamment, ont même été contraints de fermer leurs portes. Une situation quelque peu surréaliste alors que les hôpitaux du pays sont toujours sous tension.
Faut-il réellement avoir peur de ce vaccin ? Selon la Medicines and Healthcare products Regulatory Agency — l’équivalent de l’ANSM au Royaume-Uni —, les problèmes de coagulation sanguine évoqués peuvent survenir chez un jeune adulte vacciné sur 100 000 ; pour un individu de la même catégorie d’âge, c’est la même probabilité que celle de mourir sous anesthésie générale ou lors d’un saut en parachute. Une « chance » sur 100 000 de développer un caillot sanguin, c’est aussi le risque encouru chaque semaine par une femme sous pilule contraceptive. Des données qui relativisent quelque peu la dangerosité du vaccin d’AstraZeneca.
Une balance bénéfices/risques examinée de près
La semaine dernière, le comité de sécurité de l’EMA a conclu que les caillots sanguins et un faible taux de plaquettes sanguines devraient être répertoriés comme des effets secondaires très rares du Vaxzevria. La plupart des cas signalés sont survenus chez des femmes de moins de 60 ans, dans les deux semaines suivant la vaccination. Toutefois, aucun facteur de risque spécifique n’a pour le moment été confirmé.
Selon CovidTracker, près de trois millions de Français ont reçu ce vaccin ; au 31 mars, plus de 20 millions de doses de ce vaccin avaient été administrées au Royaume-Uni. Mais au 22 mars, 62 cas de thrombose du sinus veineux cérébral et 24 cas de thrombose de la veine splanchnique (située dans l’abdomen) avaient été signalés dans l’Union européenne, dont 18 cas se sont avérés fatals (4 décès en France). L’EMA est pourtant catégorique : les avantages globaux du vaccin d’AstraZeneca dans la prévention de la COVID-19 l’emportent sur les risques d’effets secondaires.
Pour faire le point sur la situation, le Winton Centre for Risk and Evidence Communication a entrepris de mettre en balance les avantages et les risques du vaccin d’AstraZeneca pour chaque tranche d’âge. Les dommages potentiels considérés sont la formation d’un type spécifique de caillots sanguins ; les avantages sont la protection contre la COVID-19 et la limitation de la transmission du virus. Le « poids » de ces avantages pour un individu peut varier selon 1) la probabilité que cet individu soit exposé au virus et 2) la probabilité qu’il développe une forme sévère de la maladie (qui est notamment fonction de l’âge et d’éventuels problèmes de santé sous-jacents).
Il ressort de cette analyse que lorsque le virus circule peu, la balance bénéfices/risques est quasiment à l’équilibre chez les personnes jeunes (de 29 ans ou moins). En revanche, à partir de 30 ans, les bénéfices potentiels de la vaccination sont nettement plus importants que les risques encourus. En cas de forte exposition au virus, les bénéfices l’emportent sur les risques à chaque âge.
Une prise de décision complexe
Tous les traitements médicaux présentent des effets néfastes potentiels ; la question est de savoir s’ils sont tolérables ou non au regard des effets bénéfiques apportés. Pour les vaccins, la prise de décision est plus complexe du fait qu’il s’agit d’un geste préventif (les gens sont généralement en bonne santé lorsqu’ils se font vacciner) et que les avantages qu’ils procurent concernent non seulement la personne vaccinée, mais aussi l’ensemble des individus d’une population (car en prévenant l’infection, on réduit la propagation virale).
Il apparaît que pour la plupart des individus, la protection que confère le Vaxzevria contre la COVID-19 l’emporte sur les risques minimes qui y sont associés. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a elle-même souligné que les cas de thromboses associés au vaccin « bien qu’inquiétants, sont très rares », rappelant au passage que les événements thrombo-emboliques sont connus pour se produire fréquemment : la thrombo-embolie veineuse est la troisième maladie cardiovasculaire la plus courante dans le monde.
Le Winton Centre précise néanmoins que « lors de la prise de décision, il est également important de prendre en compte les autres vaccins potentiels disponibles. […] S’il y avait un vaccin tout aussi efficace disponible, immédiatement, qui ne comportait pas de risque de réaction de caillot sanguin, alors cela pourrait faire basculer une décision en faveur de la prise de ce vaccin de préférence au vaccin Astra-Zeneca ».
La Haute autorité de santé (HAS) semble être arrivée à la même conclusion : vendredi dernier, le 9 avril, elle a recommandé que les personnes de moins de 55 ans qui avaient déjà reçu une première dose du Vaxzevria — ce qui concerne un peu plus de 530 000 personnes, principalement du personnel soignant — devaient recevoir un vaccin à ARNm, à savoir celui de Pfizer-BioNTech ou de Moderna, comme seconde dose. À noter que cette décision n’a pas été validée par l’OMS, qui à ce jour, estime que faute de données suffisantes « l’interchangeabilité des vaccins n’est pas quelque chose qu’on peut recommander ».
Contrairement à la Medicines and Healthcare products Regulatory Agency qui ne recommande pas de restrictions d’âge pour l’utilisation du Vaxzevria au Royaume-Uni, en France, il est désormais réservé aux personnes de plus de 55 ans. À savoir également que face à la prévalence du variant sud-africain dans quatre départements français (en Moselle, à La Réunion, à Mayotte et en Guyane), la HAS a estimé que le vaccin d’AstraZeneca ne devrait plus être administré dans ces régions ; les données scientifiques montrent en effet que ce vaccin n’est efficace qu’à 22% contre le variant sud-africain, largement présent sur ces territoires aujourd’hui.