Suite à l’annonce de Pfizer et BioNTech la semaine dernière concernant les premiers résultats positifs de leurs essais de vaccin contre le SARS-CoV-2, une véritable vague d’enthousiasme s’est propagée dans le monde entier. Plus récemment, la société de biotechnologie Moderna a annoncé des résultats supérieurs, suivie quelques jours plus tard de la surenchère de Pfizer, qui annonce que son candidat-vaccin est en fait efficace à 95%. Mais comme vous le savez déjà, il ne s’agit pas de vaccins ordinaires : ils pourraient être les premiers vaccins à ARN messager (ARNm) à être approuvés pour une utilisation sur l’Homme. Si cette technologie tient ses promesses, elle pourrait apporter des avantages considérables pour les soins de santé, et pas seulement dans la lutte contre la COVID-19.
« Si les résultats de Pfizer sont si intéressants, c’est en partie parce que personne n’a jamais montré chez l’Homme qu’un vaccin à ARNm peut être efficace », explique Anna Blakney, de l’Imperial College de Londres, qui travaille sur un autre vaccin. « Je pense que cela va changer la façon dont nous fabriquons de nombreux vaccins ».
Pour comprendre comment fonctionne un vaccin à ARNm, il faut d’abord comprendre comment les virus agissent dans notre corps. Dans les grandes lignes : les virus incorporent, dans une enveloppe protéique, une recette leur permettant de fabriquer davantage de virus (par réplication). Notre système immunitaire les combat en apprenant à reconnaître cette protéine extérieure. Presque tous les vaccins contiennent physiquement une telle protéine virale sous une forme ou une autre.
De nombreux vaccins contiennent des virus entiers, des protéines de l’enveloppe ou l’ensemble de la structure, utilisant soit des souches inoffensives, soit des virus inactivés. Certains vaccins plus modernes, appelés vaccins à sous-unités, ne contiennent que la protéine extérieure. Tous ces vaccins sont délicats à développer et à fabriquer, notamment parce que les virus et les protéines ne peuvent être fabriqués que dans des cellules vivantes. Les vaccins antigrippaux par exemple, sont généralement cultivés dans des œufs de poule.
Temps de développement réduit et efficacité accrue
L’ARNm (ARN messager) est un élément essentiel de la biologie cellulaire : il contient des copies des gènes du génome et sert de modèle pour la fabrication des protéines. Si les ARNm qui codent pour un gène viral sont ajoutés à une cellule humaine, cette dernière commencera alors à fabriquer cette protéine virale, et continuera à le faire pendant plusieurs semaines jusqu’à ce que les ARNm se décomposent. Comme seule la protéine extérieure est fabriquée, et non le virus entier, il n’y a aucun risque d’infection réelle.
Certaines des protéines virales sortent de la membrane de la cellule, où elles sont repérées par les cellules immunitaires. Cela déclenche la production d’anticorps. Leur rôle est de se lier aux virus correspondants et de les empêcher de pénétrer dans les cellules. Les protéines saillantes stimulent également la production de cellules T, qui détectent les cellules infectées. La destruction des cellules infectées empêche la libération d’autres virus. Une forte réponse des cellules T est considérée comme cruciale pour l’immunité contre le coronavirus, mais tous les vaccins ne la stimulent pas forcément.
Le plus grand avantage des vaccins à ARNm est probablement le fait qu’ils puissent être développés et fabriqués rapidement une fois que le génome d’un virus a été séquencé. Moderna par exemple, a commencé à tester son vaccin à ARNm chez l’Homme seulement 66 jours après le séquençage du SARS-CoV-2.
Cette rapidité de développement constitue évidemment un énorme avantage lorsque de nouveaux virus font leur apparition. Cela signifie également que si, par exemple, le virus subissait une mutation rendant les vaccins moins efficaces, tout vaccin à ARNm pourrait être rapidement modifié en ajustant la séquence. Jusqu’à récemment, le principal obstacle aux vaccins à ARNm était l’administration. Si vous injectez simplement des ARNm dans le bras d’une personne, ils sont rapidement altérés et éliminés par les enzymes dans le sang. Une façon de résoudre ce problème est de livrer le gène de la protéine virale à l’intérieur de la coquille vide d’un virus inoffensif, une technique qui est à la base de plusieurs vaccins potentiels contre les coronavirus. Dans le cas de vaccins comme ceux de Pfizer et de Moderna, les ARNm sont conditionnés dans de minuscules gouttelettes de graisse appelées nanoparticules lipidiques, qui les protègent et les aident à pénétrer dans les cellules.
Certains autres vaccins à ARNm, comme celui qui est en cours de développement à l’Imperial College de Londres, utilisent une astuce qui accélère encore la fabrication. Le vaccin en question est « autoamplifié ». Il consiste en un long morceau d’ARNm qui code également pour des enzymes qui encouragent les cellules à faire plus de copies de l’ARNm, de sorte que davantage de protéines virales sont produites. Avec un vaccin autoamplifié, on peut généralement fabriquer 100 fois plus de doses à partir de la même quantité d’ARNm. « Évidemment, c’est très important dans le cadre d’une pandémie mondiale, où l’on essaie de produire des milliards de doses d’un vaccin [en un temps record] », explique Blakney.
Si d’autres vaccins à ARNm s’avèrent aussi efficaces, ils pourraient être utilisés pour prévenir de nombreuses autres maladies, allant de l’herpès à la grippe. Ils s’avèrent également prometteurs pour le traitement des cancers. Les cellules tumorales fabriquent souvent des protéines mutantes. Celles-ci peuvent être trouvées par le séquençage du génome des cellules cancéreuses, et un vaccin à ARNm personnalisé peut alors être fabriqué. Mais nous n’en sommes encore qu’au début. Les résultats annoncés par Pfizer et Moderna ne sont issus que d’analyses provisoires. Il faudra donc attendre de voir si les vaccins à ARNm sont si prometteurs qu’on vient de nous l’annoncer.