La pandémie de COVID-19 nous rappelle que nous sommes à la merci de nombreux virus, « hébergés » par certains animaux, et qui pourraient se propager parmi les humains à tout moment. Évidemment, cela n’aurait pas de sens d’abattre tous les animaux qui présentent une menace. Deux biologistes, Scott Nuismer et James Bull, estiment qu’il est temps de se pencher sur les technologies génétiques pour empêcher l’émergence de nouvelles maladies.
Comme le dit l’adage, « mieux vaut prévenir que guérir ». Concernant la COVID-19 — près de 30 millions de cas et près de 940’000 décès à ce jour dans le monde —, sa survenue brutale dans la population humaine n’a pu être empêchée. Les deux scientifiques s’interrogent : qu’aurions-nous pu faire pour empêcher la propagation du SARS-CoV-2 chez l’Homme ?
Des vaccinations de masse trop coûteuses
Concernant les maladies infectieuses provenant d’animaux sauvages, comme c’est le cas pour le SARS-CoV-2 (chauve-souris/pangolin), le SRAS (chauve-souris/civette), le MERS (dromadaire), le virus Marburg (chauve-souris), le virus Lassa (rat du Natal) et le virus Ebola (chauve-souris/singes/porc-épics), une solution simple pour empêcher leur transmission à l’Homme est de modifier notre comportement face à ces animaux. En d’autres termes, il est indispensable de réduire le contact avec toutes les espèces connues comme hôtes de virus (ne pas les côtoyer, ne pas les manger).
Parallèlement, et en complément, il est indispensable de cibler les agents infectieux porteurs de ces maladies, en réduisant leur prévalence ou en les éliminant au sein des populations d’animaux sauvages. C’est d’ailleurs ce qui a été réalisé avec le virus de la rage : tous les chiens domestiques, de même que de nombreux carnivores sauvages ont été vaccinés contre cette maladie, de manière à l’éliminer de ces populations et réduire par la même occasion notre risque de l’attraper.
Ces campagnes de vaccination massive contre la rage ont permis d’éliminer presque complètement la rage humaine en Europe et aux États-Unis. Toutefois, la maladie fait encore des victimes : près de 59’000 personnes meurent chaque année de la rage en Afrique et en Asie, dans les zones rurales où les coûts de l’opération sont un véritable frein à sa mise en œuvre. Vacciner ainsi la faune pour cibler d’autres agents pathogènes dangereux circulant parmi les chauves-souris et les rongeurs se heurte bien souvent à des obstacles similaires. En outre, la grande taille des populations de ces animaux et leur renouvellement rapide ne facilitent pas les choses.
Une solution serait donc de créer des vaccins capables de se propager d’eux-mêmes à travers la population animale. Et selon Nuismer et Bull, ces vaccins « auto-disséminés » pourraient être développés de deux manières.
La première approche, relativement conventionnelle, consiste à appliquer le vaccin sur la fourrure d’animaux capturés, puis de les relâcher. De cette façon, lorsque ces animaux retournent dans leurs habitats naturels, le toilettage social entraîne l’ingestion du vaccin par d’autres individus, ce qui amplifie le niveau d’immunité qui peut être atteint. Cette méthode pourrait notamment aider à réduire le risque de transmission de la rage aux humains par les chauves-souris vampires.
Transmettre l’immunité via un autre virus bénin
La seconde approche est plus « radicale » (et plus moderne !). Elle consiste à insérer un petit morceau du génome du virus considéré dans un virus bénin, qui se propagerait naturellement à travers la population animale. En se transmettant ainsi d’animal à animal, le virus les immunise contre la maladie infectieuse ciblée. Par conséquent, l’immunité au sein de la population animale augmente considérablement, ce qui réduit les risques pour l’Homme.
Il se trouve que cette technologie pour développer des vaccins transmissibles existe. Les essais sur le terrain, visant à protéger les lapins sauvages contre une fièvre hémorragique virale, ont déjà donné des résultats prometteurs. Par ailleurs, des efforts sont en cours pour développer des prototypes de vaccins autodisséminés pour plusieurs agents pathogènes humains importants, tels que les virus Lassa et Ebola.
Cette technique pourrait véritablement changer la donne dans le combat contre les maladies infectieuses de l’Homme, d’origine animale. En plus de rendre la vaccination des animaux sauvages accessible à tous, cette technologie permettrait d’éviter l’extermination des espèces « réservoirs de maladies », qui sont toutefois importantes d’un point de vue écologique, comme les chauves-souris — qui contribuent à réguler les populations d’insectes nuisibles, et aussi à la pollinisation.
Certes, la technologie existe, mais il reste beaucoup à faire. D’autres essais en laboratoire et sur le terrain doivent confirmer l’efficacité de cette approche. Il faut également s’assurer que ces vaccins qui se propagent tous seuls ne présentent aucune conséquence néfaste inattendue. Au regard des coûts croissants engendrés par la recherche d’un traitement et d’un vaccin contre la COVID-19, nos deux spécialistes se demandent s’il ne serait pas plus rentable de se focaliser sur la prévention…
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Cette approche n’est pas sans rappeler l’opération mise en place en Floride, qui va relâcher dans la nature, sur deux ans, 750 millions de moustiques mâles génétiquement modifiés. Ceux-ci sont porteurs d’une protéine qui tuera toute progéniture femelle avant qu’elle n’atteigne l’âge de la reproduction. L’objectif ? Diminuer le nombre de femelles, car ce sont elles qui piquent les humains et sont donc responsables de la propagation de certaines maladies comme la dengue, le Zika, le chikungunya ou la fièvre jaune. D’autres initiatives similaires consistent à rendre les moustiques mâles stériles par modification génétique, afin de diminuer les populations. Des alternatives intéressantes à la pulvérisation massive d’insecticides, qui sont sans danger pour l’Homme.