Il est avéré que les excréments du bétail contribuent significativement aux émissions de gaz à effet de serre, ainsi qu’à la contamination du sol et de l’eau — de surcroît dans les élevages respectueux des animaux, qui leur offrent encore plus d’espace. Faire en sorte que les animaux évacuent leurs excréments dans un endroit spécifique, facilitant la capture et le traitement de ces matières, pourrait résoudre le problème. À l’aide d’un entraînement basé sur la récompense, une équipe de chercheurs est parvenue à « dresser » des bovins de manière à ce qu’ils contrôlent leur réflexe de miction.
Aujourd’hui, à l’échelle mondiale, l’élevage représente 14,5% des émissions de gaz à effet de serre, soit autant que le secteur du transport ! Le méthane issu de la fermentation entérique des ruminants, le CO2 lié à l’utilisation d’énergies fossiles et à la déforestation, ou encore le protoxyde d’azote lié aux engrais utilisés sont tous responsables de l’augmentation des températures. Obliger des vaches à uriner dans un endroit précis, l’idée paraît quelque peu saugrenue… Mais il faut savoir que l’azote contenu dans l’urine de vache se décompose au fil du temps en nitrate, qui s’accumule dans le sol puis s’infiltre dans les rivières et les ruisseaux, et également en protoxyde d’azote.
Certes, le protoxyde d’azote (ou oxyde nitreux) est beaucoup moins abondant que les autres gaz à effet de serre, mais il est 300 fois plus puissant que le dioxyde de carbone et 10 fois plus que le méthane. En outre, à l’intérieur des étables, l’urine stagnante peut endommager les sabots des vaches, et les gaz émis peuvent provoquer des maladies respiratoires tant chez les animaux que chez les humains qui s’en occupent.
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Un comportement modifié par un système de récompense
Contrairement à d’autres animaux (et à l’Homme), le contrôle de la miction chez la vache demande un effort intense : il implique la maîtrise de soi et la coordination d’une chaîne complexe de comportements, y compris la conscience de la plénitude de la vessie, le dépassement des réflexes excréteurs, la sélection de latrines pour évacuer et la relaxation intentionnelle du sphincter urétral externe. Les tentatives antérieures visant à entraîner des bovins à uriner dans un endroit précis n’ont été que partiellement réussies. Mais une nouvelle étude montre que le comportement de miction chez les bovins peut véritablement être modifié par des récompenses.
Dans le cadre de cette étude, les chercheurs ont entraîné 16 veaux âgés de cinq mois à « être propre ». Le processus s’est déroulé en trois étapes : pour commencer, les veaux ont été placés plusieurs fois par jour dans des latrines — un espace clos, revêtu de gazon synthétique — jusqu’à ce qu’ils urinent, suite à quoi ils recevaient une récompense (de la mélasse ou de l’orge) via un distributeur automatique, puis pouvaient sortir. Cette étape était nécessaire pour simplement familiariser les animaux avec les lieux.
Dans un deuxième temps, les veaux étaient placés dans une allée menant aux latrines ; celles-ci étaient équipées d’une porte que les animaux pouvaient ouvrir à loisir. Lorsque l’un des animaux urinait à l’intérieur, il était récompensé par une friandise ; mais s’il urinait dans l’allée, un arroseur l’aspergeait d’eau pendant trois secondes — ce qui était considéré comme source d’inconfort pour les animaux.
Enfin, pour la dernière étape, l’allée a été ouverte sur un espace plus vaste, dans lequel les veaux pouvaient se déplacer à leur guise ; les latrines demeuraient accessibles et les animaux pouvaient choisir d’y aller pour uriner ou non — et selon leur choix, ils étaient récompensés ou aspergés. L’équipe de chercheurs rapporte qu’après dix sessions de formation comme celle-ci, 11 des animaux utilisaient les latrines pour uriner 77% du temps !
Un niveau de performance comparable à celui des enfants
Lorsque les vaches sont élevées principalement à l’extérieur, comme c’est le cas en Nouvelle-Zélande et en Australie, l’azote de leur urine se décompose dans le sol. Le nitrate issu de cette décomposition s’infiltre dans les lacs, les rivières et les aquifères ; non seulement il pollue l’eau, mais il contribue à la croissance excessive des mauvaises herbes et des algues. Le protoxyde d’azote émis représente quant à lui près de 12% des émissions de gaz à effet de serre de la Nouvelle-Zélande, selon Lindsay Matthews et Douglas Elliffe, du département de psychologie de l’Université d’Auckland, co-auteurs de l’étude.
En Europe et en Amérique du Nord, les vaches sont principalement élevées dans des étables : dans ce cas, l’azote de l’urine se mélange aux matières fécales déposées au sol, produisant de l’ammoniac, un autre gaz polluant. Développer une solution permettant de capturer et de traiter l’urine de ces animaux permettrait donc de réduire significativement son impact environnemental. « Plus nous pouvons capturer d’urine, moins nous aurons besoin de réduire le nombre de bovins pour atteindre les objectifs d’émissions — et moins nous devrons faire de compromis sur la disponibilité du lait, du beurre, du fromage et de la viande », ajoutent les chercheurs.
L’approche proposée ici, basée sur la psychologie comportementale — la même que celle utilisée pour dresser un chien — semble porter ses fruits : les veaux n’ont bénéficié que de 15 jours d’entraînement et la majorité d’entre eux ont appris l’ensemble des compétences en 20 à 25 mictions, « ce qui est plus rapide que le temps d’apprentissage de la propreté pour les enfants de trois et quatre ans », soulignent les deux spécialistes.
Cette étude a prouvé d’une part que les bovins étaient capables d’apprendre à contrôler leur réflexe de miction — car ils se déplaçaient ver les latrines avant d’uriner — et d’autre part, qu’ils peuvent apprendre à se retenir s’ils sont récompensés pour cela. Matthews espère qu’à partir de cette preuve de concept, un système de formation complètement automatisé (avec capteurs de miction et systèmes de récompense automatique) pourra être mis au point, afin que les éleveurs de bovins du monde entier puissent en bénéficier. Dans de futures recherches, l’équipe espère aussi déterminer jusqu’où les bovins sont prêts à marcher pour uriner au bon endroit, afin d’utiliser au mieux cette technique dans différents contextes d’élevage.