Une étude menée sur près de 25 000 personnes en Taïwan révèle que l’exposition prolongée aux vagues de chaleur accélère le vieillissement et augmente la vulnérabilité aux problèmes de santé. Les effets seraient comparables à ceux provoqués par le tabagisme ou la consommation d’alcool et constituent un signal d’alarme quant aux impacts directs du réchauffement climatique sur notre santé à long terme.
On sait depuis longtemps que les canicules et les vagues de chaleur ont des effets néfastes sur la santé. Les vagues de chaleur où les températures atteignaient 50 °C au Pakistan ont par exemple provoqué plus de 500 décès l’an dernier. En juin de cette année, elles ont provoqué près de 600 décès prématurés en Angleterre.
Les chercheurs estiment que la probabilité de survenue de ces épisodes meurtriers pourrait être multipliée par 30 en raison du changement climatique, soulevant des inquiétudes croissantes en matière de santé publique. Mis à part les décès directement liés aux vagues de chaleur, de récentes recherches ont mis en évidence des effets plus profonds sur la santé.
La chaleur : un accélérateur du vieillissement
Une étude menée en Allemagne a par exemple mis en évidence un lien entre les températures de l’air plus élevées et une augmentation des marqueurs épigénétiques du vieillissement. D’autres travaux sur les marqueurs d’ADN ont également montré un vieillissement prématuré associé à l’exposition à la chaleur extrême. Cependant, la plupart des recherches se concentraient jusqu’ici sur les effets sur la santé de l’exposition à court terme à la chaleur extrême.
La nouvelle étude de l’Université de Hong Kong est l’une des premières à évaluer les effets de l’exposition prolongée aux vagues de chaleur sur le vieillissement. « Nombre d’entre nous ont connu des vagues de chaleur et en sont sortis indemnes – du moins, c’est ce que nous pensions. [Cette recherche] montre désormais que l’exposition aux vagues de chaleur influence notre vieillissement », explique au Guardian, Paul Beggs, de l’Université Macquarie de Sydney, en Australie, qui n’a pas participé à l’étude.
Pour effectuer leur enquête, les chercheurs ont analysé les dossiers médicaux de 24 922 Taïwanais entre 2008 et 2022. Pendant cette période d’étude, Taïwan a connu une trentaine de vagues de chaleur, caractérisées par des températures anormalement élevées pendant plusieurs jours consécutifs. L’âge biologique des participants a été évalué selon les fonctions hépatique, pulmonaire et rénale, la tension artérielle et l’inflammation.
L’estimation de l’âge biologique selon ces paramètres a ensuite été comparée à l’âge réel des participants. L’ensemble a été analysé en fonction de la température cumulée totale à laquelle les participants ont probablement été exposés en fonction de leur adresse au cours des deux années précédant leur visite médicale. En termes plus simples, l’analyse visait à déterminer si l’exposition aux vagues de chaleur était liée à un vieillissement plus rapide.
L’équipe a constaté que l’âge biologique augmente proportionnellement à la fréquence d’exposition aux vagues de chaleur. Pour chaque 1,3 °C supplémentaire auquel un participant était exposé (hausse moyenne cumulative par rapport à la normale), environ 0,023 à 0,031 an (en moyenne) était ajouté à son horloge biologique. L’âge biologique augmentait par exemple d’environ 9 jours pour les personnes ayant connu quatre jours de canicule supplémentaires sur une période de deux ans.
« Bien que le nombre lui-même puisse paraître faible, au fil du temps et à travers les populations, cet effet peut avoir des implications significatives en matière de santé publique », explique dans un article publié dans la revue Nature, Cui Guo, épidémiologiste environnemental à l’Université de Hong Kong, qui a dirigé l’étude. D’après les chercheurs, cette vitesse de vieillissement est comparable à celle associée au tabagisme et à la consommation d’alcool, ainsi que la mauvaise alimentation et la sédentarité.
En outre, « si l’exposition aux vagues de chaleur se poursuit pendant plusieurs décennies, l’impact sur la santé sera bien plus important que ce que nous avons signalé », souligne Guo au Guardian. « Les vagues de chaleur deviennent également plus fréquentes et durent plus longtemps, de sorte que les impacts sur la santé pourraient être bien plus importants [à l’avenir] », ajoute-t-il.
Les travailleurs manuels et les plus vulnérables en première ligne
Les résultats – détaillés dans une étude parue dans la revue Nature Climate Change – indiquent que les travailleurs manuels et les habitants des zones rurales ont subi le plus d’impacts sur la santé. Cela s’explique probablement par le fait qu’ils passent davantage d’heures dehors et sont moins susceptibles d’avoir accès à la climatisation. Chez les travailleurs manuels, l’âge biologique augmentait par exemple de 33 jours en moyenne sur la période de l’étude.
Toutefois, un avantage inattendu s’est produit : les effets des vagues de chaleur sur le vieillissement se sont atténués au cours des 15 ans de l’étude. Ce résultat pourrait cependant aussi refléter un biais méthodologique, lié à la sélection des participants ou à l’évolution des conditions de vie. Les raisons de cette atténuation restent incertaines, mais les chercheurs estiment qu’un meilleur accès aux technologies de refroidissement pourrait y avoir contribué.
Une autre limite de l’étude est que certains facteurs pertinents, comme le temps passé à l’extérieur ou la fraîcheur des logements, n’ont pas été pris en compte. Les participants à l’étude étaient aussi en moyenne assez jeunes, en meilleure santé et plus instruits que la population générale. Cela signifie que les effets sur les personnes âgées et plus vulnérables pourraient être plus importants. Des travaux supplémentaires seront nécessaires pour affiner la recherche.
Il est néanmoins important de souligner que « conjuguée à la nouvelle découverte selon laquelle l’exposition aux vagues de chaleur accélère le vieillissement chez les adultes, nous assistons à un changement radical dans notre compréhension de l’ampleur et de la gravité de l’impact de la chaleur sur notre santé. Cet impact peut survenir à tout âge et durer toute la vie », souligne Beggs.