En 2019, une équipe de chercheurs du Département de biologie de l’Université de Rochester avait mis en évidence le fait que le gène sirtuine 6 (SIRT6) est responsable d’une réparation plus efficace de l’ADN chez les espèces ayant une durée de vie plus longue. De ce fait, SIRT6 est souvent appelé le « gène de la longévité ». Dans une nouvelle étude, la même équipe montre qu’une variante rare de ce gène aurait une capacité de réparation de l’ADN encore plus importante : il s’avère que cette variante génétique se retrouve chez certaines personnes centenaires.
À mesure que nous vieillissons, notre ADN est de plus en plus sujet aux ruptures, ce qui peut entraîner des réarrangements et des mutations génétiques, caractéristiques du cancer et du vieillissement. Ceci est vrai pour tous les mammifères. Les chercheurs ont donc longtemps émis l’hypothèse que la réparation de l’ADN jouait un rôle important dans la détermination de la durée de vie d’un individu. Ainsi, les organismes ayant une durée de vie plus longue pourraient avoir développé des régulateurs de réparation de l’ADN plus efficaces. Une étude menée en 2019 par Vera Gorbunova, professeur de biologie à l’Université de Rochester, et son équipe, concluait qu’une surexpression de la protéine SIRT6 conduit à une durée de vie plus longue (et inversement, un déficit en cette protéine induit un vieillissement prématuré).
Les chercheurs ont mené une nouvelle étude pour mieux comprendre le rôle protecteur de cette protéine dans le processus de vieillissement ; leurs résultats sont disponibles sur le serveur de pré-impression bioRxiv. En étudiant le génome d’un échantillon de centenaires juifs ashkénazes, ils ont découvert que certains d’entre eux possédaient un allèle SIRT6 contenant deux substitutions liées (N308K/A313S), qui n’apparaissaient pas dans le groupe témoin (composé de juifs ashkénazes non centenaires). Or, cet allèle confère une stimulation accrue de la réparation de la rupture de l’ADN et une destruction plus robuste des cellules cancéreuses par rapport à l’allèle non muté.
Une mutation rare associée à une longévité accrue
Plusieurs études antérieures ont démontré qu’au niveau moléculaire, le gène SIRT6 est impliqué dans de nombreux processus : la réparation de l’ADN, l’entretien des télomères, l’élimination de sections parasites d’ADN (dont les rétrotransposons LINE1, qui se répliquent dans le génome, provoquent des mutations nocives ou déclenchent une réponse inflammatoire), la régulation de l’homéostasie du glucose, de l’inflammation et de la pluripotence. SIRT6 est en outre un suppresseur de tumeur reconnu : les cellules dépourvues de SIRT6 sont plus sensibles à la transformation maligne, tandis que la surexpression de SIRT6 induit l’apoptose des cellules cancéreuses (mais pas des cellules saines).
En résumé, la protéine SIRT6 est essentielle. Elle se trouve dans le noyau des cellules, où elle interagit avec la protéine d’échafaudage nucléaire Lamin A/C (notée LMNA), qui est également impliquée dans la longévité humaine. Les mutations du gène codant pour LMNA provoquent d’ailleurs une multitude de syndromes génétiques humains, dont beaucoup sont associés à un vieillissement prématuré. Étant donné que l’activité de la protéine SIRT6 est fortement corrélée à la longévité chez la plupart des espèces, dont l’Homme, les scientifiques ont immédiatement pensé qu’une activité SIRT6 plus soutenue pourrait potentiellement entraîner une plus grande longévité.
Dans cette nouvelle étude, les chercheurs ont entrepris d’examiner de plus près le locus SIRT6 dans une population de centenaires ; celle-ci se composait de 496 centenaires juifs ashkénazes et 572 juifs ashkénazes sans antécédents familiaux de longévité exceptionnelle (groupe témoin). Ils ont ainsi identifié deux nouveaux variants de SIRT6 : l’un d’eux, nommé centSIRT6, affiche des capacités accrues par rapport au gène commun. Cette variante génétique était portée par 1% des centenaires sélectionnés. Mais en examinant une base de données de 150 000 personnes d’origines ethniques diverses, les chercheurs se sont aperçus que les personnes vivant plus longtemps étaient plus susceptibles de posséder ce variant centSIRT6.
Une action anti-tumorale plus robuste
Les chercheurs rapportent une amélioration de la réparation de l’ADN et une suppression accrue des éléments transposables, ainsi qu’une résistance au stress oxydatif. De plus, l’allèle centSIRT6 s’est montré plus efficace pour tuer les cellules cancéreuses. Pour évaluer la capacité de destruction des cellules tumorales de l’allèle centSIRT6, les chercheurs ont transfecté les allèles SIRT6 dans deux lignées cellulaires tumorales communes. Résultat : l’expression de centSIRT6 a entraîné environ 2 fois moins de cellules survivantes et a déclenché des niveaux d’apoptose au moins 2 fois plus élevés dans les deux lignées cellulaires cancéreuses par rapport au SIRT6 commun, suggérant que son action anti-tumorale est bien plus robuste.
D’un point de vue fonctionnel, l’équipe a noté que cet allèle présentait également une interaction renforcée avec LMNA. Mais ce n’est pas tout : il améliore aussi l’interaction de LMNA avec plusieurs autres protéines, qui sont toutes impliquées dans la coordination de la réponse aux dommages de l’ADN. En conclusion, cette nouvelle variante rare de SIRT6 confère des effets bénéfiques à la fonction de la protéine SIRT6.
Les chercheurs soulignent que c’est assez surprenant, car les variantes génétiques rares sont habituellement plus susceptibles d’être délétères que bénéfiques et sont souvent associées à des maladies humaines. La seule autre mutation humaine codant pour SIRT6, qui avait été caractérisée fonctionnellement, conduit d’ailleurs à la létalité embryonnaire. Il avait déjà été prouvé qu’une surexpression de SIRT6 augmentait la durée de vie des souris et des drosophiles. Il apparaît aujourd’hui qu’une activité accrue de SIRT6 profite également à l’Homme. « Je pense qu’avec toutes ces preuves réunies, il est très probable que cette variante contribue à une durée de vie plus longue », a déclaré Vera Gorbunova au New Scientist.
Ces résultats pourraient ouvrir la voie au développement d’un nouveau type de médicament anti-âge, qui stimulerait l’activité de SIRT6. « S’ils peuvent être créés, de tels médicaments pourraient même être capables d’inverser le vieillissement dans une certaine mesure », a ajouté Gorbunova.