En 2022, le premier foyer généralisé de la variole du singe s’est propagé au-delà de l’Afrique, amenant l’Organisation mondiale de la santé (OMS) à envisager de classer l’épidémie comme une urgence sanitaire mondiale. Le virus aurait muté jusqu’à douze fois plus vite que prévu. Des chercheurs portugais tentent d’expliquer le phénomène, en se penchant sur le mécanisme à l’origine de ces mutations.
La variole du singe est une zoonose rare causée par un virus du genre orthopoxvirus, qui comprend également le virus de la variole. Les auteurs de l’étude (encore en pré-prépublication sur Nature Medicine) notent que bien que le réservoir naturel du virus de la variole du singe reste inconnu, des animaux tels que les rongeurs et les primates peuvent être porteurs du virus, ce qui entraîne une transmission occasionnelle à l’Homme.
Le virus est endémique dans les pays d’Afrique occidentale et centrale, mais il a déjà infecté plus de 3500 personnes dans 48 pays depuis sa détection hors de l’Afrique en mai 2022. De son côté, Santé publique France rapporte 330 cas confirmés sur le territoire au 23 juin. Comment expliquer l’accroissement du nombre de cas en-dehors de la zone endémique ?
Dans leur étude, les chercheurs portugais ont analysé l’ADN de 15 échantillons de virus de la variole du singe appartenant au clade (ou lignée) de l’Afrique de l’Ouest, dont l’épidémie actuelle semble être issue — l’autre clade est située dans le bassin du Congo. Ils ont découvert environ 50 variations génétiques dans les virus étudiés, par rapport à ceux de 2018 et 2019.
D’après les auteurs, c’est six à douze fois plus que « ce à quoi on pourrait s’attendre compte tenu des estimations précédentes », les virus comme celui de la variole du singe gagnant rarement plus d’une ou deux mutations chaque année. En effet, les orthopoxvirus (à ADN double brin) sont rarement sujets aux mutations, car ils corrigent plus facilement leurs erreurs lors de la réplication — les erreurs générant des mutations.
Une enzyme humaine à l’origine des nombreuses mutations ?
« Nos données révèlent des indices supplémentaires de l’évolution virale en cours et de l’adaptation potentielle de l’homme », rapportent les auteurs de l’étude. En cause possible, un mécanisme de défense humain médié par la famille d’enzymes APOBEC3. D’ordinaire, ces enzymes contraignent les virus à faire des erreurs lorsqu’ils copient leur code génétique, ce qui les désintègre dans la plupart des cas. « Mais dans certaines circonstances, les mutations médiées par l’APOBEC pourraient ne pas perturber complètement le virus, augmentant ainsi la probabilité de produire des variants hypermutés (mais viables) aux caractéristiques modifiées », poursuivent les chercheurs.
Ces mutations n’ont pas forcément rendu le virus plus contagieux, mais plus adapté à l’Homme. Dès lors, il est possible qu’il ait circulé à « bas bruit » chez l’humain et qu’il ait acquis un grand nombre de nouvelles mutations en luttant contre les enzymes. « On ne peut pas exclure l’hypothèse d’une période prolongée de dissémination cachée chez les animaux ou les humains dans un pays non endémique », pour qu’il se répande ensuite cette année.
Si les chercheurs estiment que leurs travaux montrent que le séquençage du génome viral de la variole du singe pourrait être assez précis pour suivre la propagation de l’épidémie actuelle, d’autres études devront confirmer leurs résultats préliminaires.