En 1959, Richard Feynman rêvait d’un avenir où des microrobots nageraient dans le corps humain, réparant progressivement les tissus cellulaires et organes endommagés. Près de 70 ans plus tard, les scientifiques se rapprochent de plus en plus de cette réalité. Récemment, des ingénieurs de l’Université de Tokyo ont trouvé un moyen de motoriser des structures microscopiques sans avoir recours à une source d’alimentation externe : en utilisant des algues unicellulaires. Le projet a mené au développement de deux micromachines, baptisées « rotator » et « scooter ».
Ce n’est pas la première fois que des micromachines propulsées par des algues sont développées. En 2021, des chercheurs de l’Université de Californie San Diego (UCSD) ont développé des microrobots propulsés par des algues Spirulina. Ils ont été remplis de médicaments anticancéreux avant d’être injectés dans les tumeurs pulmonaires de souris. En plus de garantir une propulsion efficace, les algues ont des propriétés biocompatibles et biodégradables.
Les résultats de l’étude de 2021 ont montré une distribution ciblée efficace du traitement médicamenteux, avec des effets secondaires réduits. Des scientifiques de l’Université de Hong Kong ont également réalisé une étude similaire en 2020, visant à explorer l’utilisation de microrobots propulsés par des algues pour administrer des molécules anti-inflammatoires pour le traitement de la colite ulcéreuse (une forme de MICI). Les expériences qu’ils ont réalisées sur des animaux ont montré une réduction significative de l’inflammation, avec une nette amélioration de l’état des tissus intestinaux.
Toutefois, plusieurs défis restent à surmonter. L’un des principaux étant que le déplacement des « microbots », à cause de leur très petite taille, peut être entravé par le flux sanguin. Ainsi, au cours de ces dernières années, les chercheurs tentent de trouver un moyen de les doter de minuscules moteurs suffisamment puissants pour les propulser à travers le corps.
D’après ce qu’ont déclaré les chercheurs de l’Université de Tokyo dans un communiqué au sujet de leur nouvelle étude, c’est en analysant la capacité de nage rapide de l’algue verte Chlamydomonas reinhardtii qu’ils ont eu l’idée d’exploiter son potentiel pour déplacer leurs robots. Tout comme l’algue Spirulina, Chlamydomonas reinhardtii est pourvue de deux flagelles qui la propulsent vers l’avant et est sans danger pour la consommation humaine.
Une solution unique et efficace
Pour mener à bien leur expérience, les chercheurs ont commencé par fabriquer de minuscules véhicules de 0,001 mm en utilisant la stéréolithographie à deux photons (une technique d’impression 3D utilisant la lumière pour créer des microstructures en plastique). Ensuite, ils ont conçu des structures en forme de panier qu’ils ont imprimées en 3D, afin de piéger les Chlamydomonas — la partie la plus délicate du processus. En effet, il leur a fallu optimiser minutieusement la conception des paniers afin de capturer les algues tout en laissant assez d’espace aux flagelles pour propulser les microrobots. Haruka Oda (auteure principale de l’étude) et ses collègues ont conçu deux types de véhicules.
Le premier, nommé « scooter », est composé de deux paniers orientés vers l’avant pour piéger deux cellules d’algues de 10 micromètres chacune. Selon les chercheurs, les paniers sont orientés dans la même direction, permettent de propulser le véhicule en ligne droite. Cependant, à leur grande surprise, ils ont constaté qu’au lieu de suivre un mouvement linéaire, le scooter se déplaçait selon « 10 mouvements de roulis et 15 retournements erratiques ». « Cela nous a incités à étudier plus en détail la manière dont le mouvement collectif de plusieurs algues influence le mouvement de la micromachine », a déclaré Oda.
Le second modèle de véhicule, nommé « rotator », intègre quant à lui quatre paniers disposés en forme de moulin à vent. Avec une cellule d’algue occupant chacun des paniers, la structure « tourne » à une vitesse moyenne de 20 à 40 micromètres par seconde (C. reinhardtiise se déplace à plus de 100 micromètres par seconde lorsqu’elle n’est pas encombrée).
L’un des principaux atouts de ce système biocompatible réside dans le fait que ni les véhicules imprimés en 3D ni les algues n’exigent de modifications artificielles. Les organismes nagent librement dans les pièges imprimés en 3D sans nécessiter de structures de guidage complexes. Quoi qu’il en soit, l’équipe d’Oda n’a pas encore déterminé avec précision la durée de fonctionnement maximale des deux micromachines. Bien que les cellules individuelles des algues C. reinhardtii survivent quelques jours, les scientifiques ont constaté lors des tests que les prototypes fonctionnaient pendant seulement quelques heures. Cependant, aucun problème technique majeur n’a été relevé.
Shoji Takeuchi, qui a supervisé le projet, a déclaré : « Les méthodes développées ici sont non seulement utiles pour visualiser les mouvements individuels des algues, mais également pour développer un outil capable d’analyser leurs mouvements coordonnés dans des conditions contraintes ». « Ces méthodes ont le potentiel d’évoluer à l’avenir vers une technologie pouvant être utilisée pour surveiller les environnements aquatiques et dans le cadre du transport de substances utilisant des micro-organismes, tels que le déplacement de polluants ou de nutriments dans l’eau », a ajouté Takeuchi.
La prochaine étape de l’étude visera à perfectionner le « rotator » pour qu’il atteigne une vitesse de rotation plus élevée. L’équipe envisage également la conception de micromachines à algues plus complexes.