Les maladies cardiovasculaires (MCV) sont la principale cause de décès dans le monde. On estime que 17,9 millions de personnes sont décédées des suites de maladies cardiovasculaires en 2019, ce qui représente 32% de tous les décès dans le monde. C’est pourquoi ce domaine de recherche est en plein essor, notamment le sous-domaine des organes artificiels. Des chercheurs canadiens ont récemment développé un modèle miniature de ventricule cardiaque fonctionnel. Fabriqué avec de réelles cellules cardiaques vivantes, il bat assez fort pour pomper du liquide à l’intérieur d’un tube. Il sera utilisé pour étudier les maladies cardiaques et tester de nouvelles thérapies potentielles ne nécessitant pas de chirurgie invasive.
Avec près de 18 millions de décès par an, les maladies cardiovasculaires sont un enjeu de santé publique. L’OMS les qualifie de véritable fardeau. Heureusement, la plupart des maladies cardiovasculaires peuvent être prévenues en s’attaquant aux facteurs de risque comportementaux tels que le tabagisme, une mauvaise alimentation et l’obésité, l’inactivité physique et la consommation nocive d’alcool.
Il est important de détecter les maladies cardiovasculaires le plus tôt possible afin que la prise en charge avec conseils et médicaments puisse commencer. Mais parfois, des opérations chirurgicales sont nécessaires, notamment pour la réparation et/ou le remplacement de valves cardiaques ou la transplantation cardiaque (donneur ou organe artificiel).
Malgré les efforts actuels en ingénierie d’organes sur puce pour construire des modèles cardiaques miniatures, il manque souvent certains aspects physiologiques du cœur, notamment l’orientation des fibres. Récemment, des chercheurs de l’Université de Toronto, dirigés par le professeur Milica Radisic, ont développé en laboratoire un modèle à petite échelle d’un ventricule cardiaque gauche humain — de la taille d’un ventricule après 19 semaines de gestation. La construction de tissu bioartificiel est faite de cellules cardiaques vivantes et bat suffisamment fort pour pomper du liquide à l’intérieur d’un bioréacteur, tout comme le vrai ventricule. Le système est décrit en détail dans la revue Advanced Biology.
Un tissu cardiaque plus vrai que nature
De nombreux défis auxquels sont confrontés les ingénieurs tissulaires sont liés à la géométrie. Bien qu’il soit facile de faire croître des cellules humaines en deux dimensions dans une boîte de Pétri, les résultats ne ressemblent que peu à de vrais tissus ou organes in vivo, notamment tout ce qui est lié à la mécanique des fluides. Ainsi, l’équipe de recherche a utilisé une approche reposant sur des élastomères microfabriqués (échafaudage) qui permet l’assemblage hiérarchique de feuilles composées de cellules alignées en 2D, dans un ventricule cardiaque conique fonctionnel.
Il faut savoir qu’habituellement, les échafaudages, ornés de rainures ou de structures en forme de mailles, sont ensemencés avec des cellules musculaires cardiaques et mises en culture dans un milieu liquide. Au fil du temps, les cellules se développent ensemble, formant un tissu. La forme ou le motif sous-jacent de l’échafaudage incite les cellules à adopter une configuration particulière. Des impulsions électriques sont utilisées pour contrôler la vitesse à laquelle elles battent.
Ici, les chercheurs ont utilisé trois feuilles de forme trapézoïdale avec trois orientations de mailles différentes, allant de -60° à +60°. Elles ont été ensemencées avec des cellules dérivées des tissus cardiovasculaires de jeunes rats. L’opération a été répétée deux fois afin d’obtenir trois couches à trois feuilles. Après une semaine de culture, pour que cet assemblage de trois couches plates ressemble à un ventricule, ils les ont enroulées autour d’un manche conique, surnommé « mandrin ».
Finalement, l’équipe a obtenu un modèle de ventricule gauche de forme conique inspiré de la taille d’un ventricule gauche humain âgé de 19 semaines de gestation, ayant un diamètre intérieur de 0,5 millimètre et une hauteur d’environ 1 millimètre. Les cellules cardiaques dans les constructions 3D ont montré une viabilité élevée dans les 3 couches, après 7 jours de culture.
De surcroit, les trois couches superposées de cellules cardiaques battent à l’unisson, grâce à une série de petits chocs électriques, et sont capables de pomper un fluide. Le professeur Milica Radisic déclare dans un communiqué : « Jusqu’à présent, il n’y a eu qu’une poignée de tentatives pour créer un véritable modèle 3D d’un ventricule, par opposition à des feuilles plates de tissu cardiaque. Pratiquement tous ont été fabriqués avec une seule couche de cellules. Mais un vrai cœur a de nombreuses couches et les cellules de chaque couche sont orientées selon des angles différents. Lorsque le cœur bat, non seulement ces couches se contractent, mais elles se tordent également, un peu comme on tord une serviette pour en essorer l’eau. Cela permet au cœur de pomper plus de sang qu’il ne le ferait autrement ».
L’espoir d’aboutir à de nouvelles thérapies
Ce nouveau modèle pourrait offrir aux chercheurs une nouvelle façon d’étudier un large éventail de maladies et d’affections cardiaques, ainsi que de tester des thérapies potentielles. Le professeur Milica Radisic déclare : « Avec ces modèles, nous pouvons étudier non seulement la fonction cellulaire, mais aussi la fonction tissulaire et la fonction organique, le tout sans avoir besoin de chirurgie invasive ou d’expérimentation animale. Nous pouvons également les utiliser pour cribler de grandes bibliothèques de molécules candidates pour des médicaments et estimer leurs effets positifs ou négatifs ».
En effet, dans le cœur humain, le ventricule gauche est celui qui pompe le sang fraîchement oxygéné dans l’aorte, et de là dans le reste du corps. Sargol Okhovatian (doctorant BME) explique : « Avec notre modèle, nous pouvons mesurer le volume d’éjection — la quantité de fluide expulsée à chaque fois que le ventricule se contracte — ainsi que la pression de ce fluide. Les deux étaient presque impossibles à obtenir avec les modèles précédents ».
Ainsi, les auteurs ont mesuré le volume et la pression d’éjection à l’aide d’un cathéter à conductance, le même outil utilisé pour évaluer ces paramètres chez les patients. Actuellement, le modèle ne peut produire qu’une petite fraction — moins de 5% — de la pression d’éjection par rapport à un vrai cœur, ce qui est normal compte tenu de l’échelle du modèle. En effet, il ne contient que trois couches. Pour simuler le muscle cardiaque de manière plus réaliste, il en faudrait 11, ce qui augmenterait le volume et la pression d’éjection.
Néanmoins, en augmentant le nombre de couches, les couches intermédiaires n’ont plus accès à l’oxygène et commencent à mourir, nécessitant davantage de recherches quant à la vascularisation du modèle. Finalement, en plus de la question de la vascularisation, les auteurs soulignent que les travaux futurs devront se concentrer sur l’augmentation de la densité des cellules afin d’augmenter le volume et la pression d’éjection. Il faudra également trouver un moyen de rétrécir ou éventuellement de retirer l’échafaudage.
Bien que le concept représente un progrès significatif, il reste encore un long chemin à parcourir avant que de tels organes artificiels pleinement fonctionnels soient disponibles. En attendant, il faut réduire un maximum les facteurs de risque comportementaux connus des maladies cardiovasculaires, comme une mauvaise alimentation, l’inactivité physique, le tabagisme et l’usage nocif de l’alcool. Ces plans de prévention et de sensibilisation promus par l’OMS permettent d’éviter des complications nécessitant des interventions chirurgicales lourdes.