Malgré les décennies de recherches consacrées à la maladie d’Alzheimer, nous sommes encore loin d’en avoir cerné les mécanismes biomoléculaires exacts, qui s’avérèrent beaucoup plus complexes qu’on le croyait. Au cours des cinq dernières années, cette complexité a notamment remis en question la fameuse « théorie de la cascade amyloïde », toujours plus controversée à mesure que les traitements axés dessus ne démontrent que peu d’efficacité. Récemment, des chercheurs de Yale ont découvert que la démence engendrée par la maladie pourrait être causée par un « gonflement » des axones, engendré par une accumulation de lysosomes (des organites cellulaires) autour des plaques amyloïdes. Cette découverte fournira-t-elle enfin une meilleure piste pour traiter la maladie ?
Pendant longtemps, il était largement accepté que la cause principale de la maladie d’Alzheimer était l’accumulation des plaques amyloïdes au niveau des neurones. Cependant, des recherches ont récemment révélé que cette accumulation n’est que l’une des caractéristiques de la maladie, et donc que beaucoup d’autres mécanismes n’auraient pas encore été découverts. En cause, certains chercheurs ont incriminé des maladies auto-immunes, tandis que d’autres ont suggéré que les symptômes de la maladie seraient plutôt causés par la diminution de la forme soluble de la protéine amyloïde.
De plus, en vue de la faible efficacité des traitements disponibles actuellement, les scientifiques se voient obligés de se tourner vers d’autres pistes dans l’espoir de développer des traitements potentiellement plus adaptés. La plupart des traitements approuvés se concentrent notamment sur l’élimination des plaques amyloïdes. Et malgré leur capacité à réduire l’accumulation, les symptômes de démence ne s’atténuent que peu ou pas du tout chez les patients souffrant de la maladie.
La nouvelle étude, détaillée dans la revue Nature, suggère que l’accumulation de lysosomes — les organites chargés de dissoudre les déchets cellulaires — serait la cause des symptômes de démence d’Alzheimer. Une autre étude a en effet déjà évoqué une théorie plus ou moins similaire, selon laquelle les lysosomes deviendraient incapables de digérer correctement les déchets cellulaires, qui s’accumulent et se gonflent chez les patients. Cette étude a également suggéré qu’en « gonflant » à cause de la surcharge, ces lysosomes finissent par exploser en libérant des composés toxiques qui tuent la cellule ainsi que des protéines amyloïdes, qui s’accumulent et se solidifient.
Les chercheurs de Yale suggèrent d’un autre côté que ces gonflements lysosomales, détectés autour des zones d’accumulation de plaques amyloïdes, entravent la fluidité des signaux électriques à travers les neurones, ce qui engendre de la démence. « Nous avons identifié une signature potentielle de la maladie d’Alzheimer qui a des répercussions fonctionnelles sur les circuits cérébraux, chaque sphéroïde ayant le potentiel de perturber l’activité de centaines d’axones neuronaux et de milliers de neurones interconnectés », expliquent les auteurs de la nouvelle étude.
Un gonflement entrainé par un biomarqueur spécifique
Grâce à un modèle murin où l’on a préalablement induit la maladie d’Alzheimer, les chercheurs ont constaté que la formation de chaque plaque amyloïde était entourée d’une accumulation de petits grains sphériques le long des axones, qui étaient anormalement enflés. Ces grains étaient notamment composés de lysosomes, qui à mesure qu’ils s’accumulent, empêchent la circulation des signaux électriques au niveau des axones.
Grâce à une technique d’imagerie cellulaire, les chercheurs ont en effet démontré que la perturbation des signaux électriques interneuronaux était fortement liée à la taille des granules accumulées le long des axones. Le nombre de ces sphéroïdes serait également impliqué, d’après l’analyse postmortem de cerveaux de patients atteints de la maladie d’Alzheimer, et chaque sphéroïde perturberait la connexion entre des milliers de neurones.
Les chercheurs de Yale ont également découvert qu’une protéine appelée PLD3 induisait la croissance et l’agglutination des lysosomes, engendrant un gonflement généralisé des axones. En modifiant génétiquement des souris pour éliminer le biomarqueur, ils ont constaté une réduction importante du gonflement axonal chez les souris malades. Les fonctions neuronales de ces dernières ont également été significativement améliorées.
Par ailleurs, des niveaux élevés de PLD3 induiraient une accumulation excessive de lysosomes et une hypertrophie des axones, même chez les souris en bonne santé. Ainsi, « il pourrait être possible d’éliminer cette dégradation des signaux électriques dans les axones en ciblant PLD3 ou d’autres molécules qui régulent les lysosomes, indépendamment de la présence de plaques », estime Jaime Grutzendler, professeur de neurologie et de neurosciences à Yale et auteure principale de l’étude.
Toutefois, l’hypertrophie des lysosomes est tout de même plus importante à proximité des plaques amyloïdes. Le ciblage thérapeutique de la PLD3 pourrait ainsi être une piste prometteuse pour des traitements potentiellement efficaces, ainsi que des outils de diagnostic précoce. Mais des recherches plus approfondies sont encore nécessaires avant de pouvoir confirmer l’implication de la PLD3 dans la maladie.