Vers un contrôle inédit de la gravité : un physicien propose de manipuler les ondes gravitationnelles grâce à la lumière

Elle pourrait fournir des indices sur l’existence des gravitons, les hypothétiques particules de gravité.

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| B. Schröder/HZDR
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Un physicien propose un nouveau concept expérimental qui explorerait théoriquement la possibilité de contrôler les ondes gravitationnelles à l’aide de la lumière. L’expérience consisterait à transférer l’énergie d’une onde lumineuse à une onde gravitationnelle, de sorte que les subtiles variations résultantes seraient mesurables. Le concept pourrait aussi apporter des éléments théoriques supplémentaires au débat de longue date sur la gravité et la mécanique quantique, concernant notamment l’existence des gravitons.

Prédites pour la première fois par Albert Einstein dans le cadre de sa célèbre théorie de la relativité générale, les ondes gravitationnelles sont des ondulations se propageant dans l’espace à la vitesse de la lumière à la suite de phénomènes astrophysiques extrêmes tels que la fusion de trous noirs ou la collision d’étoiles à neutrons. Il s’agit entre autres de déformations mesurables de l’espace-temps provoquées par la violence de ces interactions.

Il a cependant fallu plusieurs décennies avant que les astronomes ne détectent des preuves indirectes de leur existence, notamment lors de l’observation du pulsar binaire PSR 1913+16. Ce n’est qu’en 2015 que la première détection directe a été réalisée grâce à l’observatoire spécialisé Laser Interferometer Gravitational-Wave Observatory (LIGO). Les ondes gravitationnelles provenaient de la fusion de deux trous noirs et leur perte d’énergie au fil du temps correspondait parfaitement avec les prédictions d’Einstein.

Leur détection directe a nécessité plusieurs décennies de recherche en raison de la faible interaction gravitationnelle des objets à l’échelle des laboratoires. Néanmoins, comme il est désormais possible de les détecter directement, il pourrait être également envisageable de les étudier sous un angle expérimental plus actif. Dans cette perspective, Ralf Schützhold, physicien théoricien à l’institut de recherche Helmholtz-Zentrum Dresden-Rossendorf (HZDR), en Allemagne, propose un nouveau concept expérimental qui permettrait d’envisager leur manipulation.

Une interaction mesurable entre lumière et gravité

Le concept de Schützhold s’appuie sur le fait que la gravité affecte tous les objets, y compris la lumière. La gravité peut aussi se manifester lorsque les ondes gravitationnelles interagissent avec les ondes lumineuses. L’expérience proposée par le physicien consisterait à transférer de minuscules amas d’énergie d’une onde lumineuse à une onde gravitationnelle. L’énergie de l’onde lumineuse serait ainsi légèrement réduite, tandis que l’onde gravitationnelle en gagnerait.

« Cela rendrait l’onde gravitationnelle légèrement plus intense », explique Schützhold dans un communiqué. L’onde lumineuse, quant à elle, perdrait exactement la même quantité d’énergie, ce qui entraînerait une légère variation de sa fréquence. Selon ce concept, l’énergie transférée correspondrait à un ou plusieurs gravitons, des particules hypothétiques transportant la gravité selon les principes de la mécanique quantique.

D’après l’expert, ce processus pourrait aussi fonctionner dans l’autre sens : l’onde gravitationnelle pourrait transférer de l’énergie à l’onde lumineuse, de sorte que celle-ci gagne de l’énergie. Comme le processus provoquerait une variation de la fréquence quel que soit le sens, il serait possible de mesurer les deux effets, notamment l’émission et l’absorption de gravitons.

Des contraintes expérimentales hors normes

L’expérience nécessiterait cependant des infrastructures et des mises au point considérables. Schützhold estime que les impulsions laser (idéalement dans le spectre visible ou proche infrarouge) devraient être réfléchies jusqu’à un million de fois entre deux gigantesques miroirs. Un système de réflexion d’environ un kilomètre de long permettrait de produire une trajectoire optique d’environ un million de kilomètres.

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Schéma du dispositif interférométrique pour la lumière sous l’influence d’une onde gravitationnelle. © B. Schröder/HZDR

Ces dimensions offriraient les ordres de grandeur suffisants pour effectuer les mesures d’échange d’énergie entre les ondes lumineuses et les ondes gravitationnelles, c’est-à-dire lors de l’absorption et de l’émission de gravitons. Plus précisément, au cours du processus de réflexion, les ondes lumineuses subiraient des variations de fréquence différentes selon qu’elles absorbent ou émettent des gravitons.

Après cette interaction et leur propagation le long du trajet optique, ces ondes se superposeraient à nouveau et génèreraient un profil d’interférence. On pourrait ainsi déduire les variations de fréquence qui se produisent et donc le transfert de gravitons. Toutefois, ces variations seraient extrêmement faibles, précise le chercheur. Néanmoins, elles pourraient être mesurées avec un interféromètre précisément conçu.

D’après Schützhold, « il peut s’écouler plusieurs décennies entre l’idée initiale et l’expérimentation ». Mais la réalisation pourrait tout de même être accélérée, car l’observatoire LIGO présenterait de fortes similitudes avec le concept proposé par le physicien.

Il est constitué de deux tubes à vide en forme de L d’environ quatre kilomètres de long. Un séparateur de faisceau divise les faisceaux laser en deux, qui sont ensuite dirigés vers les deux bras en L. Puis, lors de leur passage dans le détecteur, les ondes gravitationnelles incidentes déforment légèrement l’espace-temps, ce qui entraîne une variation de quelques attomètres de la longueur initiale des faisceaux des deux bras. Cette variation de longueur modifie le profil d’interférence de l’impulsion laser, générant ainsi un signal détectable.

Dans un interféromètre conçu selon la proposition de Schützhold, il serait à la fois possible d’observer et de manipuler les ondes gravitationnelles. En outre, des impulsions lumineuses dont les photons sont intriqués quantiquement pourraient accroître significativement la sensibilité de l’interféromètre. « Nous pourrions alors même en déduire des informations sur l’état quantique du champ gravitationnel lui-même », indique-t-il.

Par ailleurs, bien que l’expérience ne permettrait pas de détecter directement des gravitons, elle pourrait fournir des indices quant à leur existence. En effet, si les ondes lumineuses ne présentaient pas les effets d’interférence prédits lors de leur interaction avec les ondes gravitationnelles, la théorie actuelle sur les gravitons s’en trouverait remise en question, et inversement. Cela constitue l’une des raisons pour lesquelles le concept de Schützhold suscite un intérêt essentiellement théorique parmi ses pairs. Les détails du concept sont décrits dans Physical Review Letters.

Source : Physical Review Letters
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