Une nouvelle étude, dirigée par la Cleveland Clinic, reposant sur une base de données de plus de 7 millions de patients, a révélé que le sildénafil (Viagra) — un médicament indiqué dans les troubles de l’érection et l’hypertension artérielle pulmonaire — pourrait réduire l’incidence de la maladie d’Alzheimer de près de 70% ! Les chercheurs prévoient de conduire des essais cliniques pour tester ce traitement sur des patients atteints de la maladie.
Quelque 50 millions de personnes sont atteintes de démence aujourd’hui dans le monde ; 152 millions de nouveaux cas seront diagnostiqués d’ici 2050, dont les deux tiers seront atteints de la maladie d’Alzheimer. Le coût de la prise en charge des malades est énorme, d’où la nécessité pour les pays de développer rapidement des stratégies de prévention et de traitement. En cela, la réorientation thérapeutique de médicaments existants est une approche pertinente : plus rapide, elle permet aussi de s’affranchir des coûts liés au développement et aux essais de nouvelles molécules.
Des études récentes ont montré que l’interaction entre le peptide β-amyloïde et la protéine tau contribue davantage à l’apparition de la maladie d’Alzheimer que chacune de ces protéines individuellement. C’est pourquoi les chercheurs ont eu l’idée de rechercher un médicament qui ciblait ces deux substances à la fois. « Nous avons émis l’hypothèse que les médicaments ciblant l’intersection du réseau moléculaire des endophénotypes amyloïde et tau devraient avoir le plus grand potentiel de succès », explique le Dr Feixiong Cheng, qui a dirigé l’étude. Le sildénafil est alors apparu comme un candidat idéal.
Identifier les différents phénotypes de la maladie
Le citrate de sildénafil, développé par le laboratoire Pfizer, est indiqué dans les troubles de l’érection et l’hypertension artérielle pulmonaire. Il est commercialisé par la firme (depuis 1999 en Europe) sous le nom de Viagra ou Revatio. À savoir que ce traitement a été découvert par pur hasard : il a été développé à l’origine pour traiter l’angine de poitrine, mais lors des essais cliniques, n’a pas entraîné les effets escomptés ; en revanche, l’un des effets secondaires observés était que le sildénafil provoquait une érection, ce qui a conduit Pfizer à réorienter l’usage de ce traitement.
L’équipe du Dr Cheng a découvert que la compréhension des sous-types des maladies neurodégénératives, telles que la maladie d’Alzheimer, peut aider à mettre en évidence des mécanismes sous-jacents communs et ainsi conduire à la découverte de cibles exploitables pour la réorientation des médicaments. Les chercheurs ont donc cartographié les facteurs génétiques pouvant potentiellement favoriser le développement de la maladie, afin d’établir plus d’une douzaine de phénotypes.
Avant d’identifier le sildénafil comme candidat potentiel, l’équipe de recherche a passé au crible plus de 1600 médicaments déjà approuvés par la Food and Drug Administration, pour déterminer lesquels pourraient constituer un traitement efficace contre la maladie d’Alzheimer. Les médicaments ciblant à la fois la bêta-amyloïde et la protéine tau affichaient des scores plus élevés que les médicaments ciblant l’un ou l’autre individuellement ; parmi eux, le sildénafil s’est présenté comme le meilleur médicament candidat. « Il a été démontré qu’il améliore considérablement la cognition et la mémoire dans les modèles précliniques », souligne le Dr Cheng.
Les chercheurs ont alors exploité les données de plus de 7 millions de personnes aux États-Unis, afin d’évaluer la relation entre le sildénafil et la maladie, en comparant les données des personnes bénéficiant de ce traitement à celles des individus qui ne le prenaient pas.
Une réduction de l’incidence supérieure à tous les autres traitements potentiels
Il était également question de mettre en regard les résultats obtenus dans le cadre d’essais cliniques d’autres traitements, tels que le losartan — un antihypertenseur, prescrit pour prévenir les AVC, la dysfonction rénale ou l’insuffisance cardiaque — ou la metformine — un antidiabétique utilisé pour traiter le diabète de type 2 ; tous deux avaient déjà été suggérés comme candidats potentiels pour traiter la maladie d’Alzheimer. L’équipe a également considéré les résultats obtenus avec des médicaments qui n’ont pas encore été signalés comme pertinents pour la maladie, à savoir le diltiazem (un inhibiteur calcique indiqué dans l’hypertension artérielle et certaines cardiopathies) et le glimépiride (un antidiabétique).
Résultat : après six ans de suivi, les utilisateurs de sildénafil présentaient 69% moins de risques de développer la maladie d’Alzheimer que les non-utilisateurs. « Nous avons notamment constaté que l’utilisation du sildénafil réduisait la probabilité de développer la maladie d’Alzheimer chez les personnes souffrant de coronaropathie, d’hypertension et de diabète de type 2, qui sont toutes des comorbidités significativement associées au risque de la maladie, ainsi que chez celles qui n’en souffrent pas », a précisé le Dr Cheng.
En outre, le sildénafil s’est avéré bien plus efficace que les autres traitements testés pour prévenir la maladie : il présentait un risque réduit de 55% par rapport au losartan, de 63% par rapport à la metformine, de 65% par rapport au diltiazem et de 64% par rapport au glimépiride.
Une fois ce médicament identifié, l’équipe a souhaité examiner en détail son mode d’action. Ils ont donc mis au point un modèle de cellules cérébrales dérivées de patients atteints de la maladie d’Alzheimer à partir de cellules souches. Ils ont constaté que le sildénafil augmentait la croissance des cellules cérébrales et diminuait l’hyperphosphorylation des protéines tau — une caractéristique qui conduit aux enchevêtrements neurofibrillaires typiques de la maladie. Le sildénafil semble donc capable d’influencer les changements cérébraux liés à la maladie.
À présent, des essais cliniques sont nécessaires pour confirmer le potentiel de ce médicament pour prévenir et/ou traiter la maladie. « Nous prévoyons maintenant un essai mécanistique et un essai clinique randomisé de phase II pour tester la causalité et confirmer les avantages cliniques du sildénafil pour les patients atteints de la maladie d’Alzheimer », a déclaré le Dr Cheng. L’approche informatique utilisée par l’équipe pourrait également être utilisée pour rechercher des médicaments pouvant potentiellement traiter d’autres maladies neurodégénératives, notamment la maladie de Parkinson et la maladie de Charcot.