Psychologiquement, il est évident que les évènements vécus durant l’enfance peuvent être déterminants plus tard dans la vie, surtout ceux traumatiques. Les traumatismes peuvent notamment influencer le comportement de l’enfant durant son développement et l’exposer à de graves séquelles psychosociales tout au long de sa vie. De récentes recherches ont montré que les enfants victimes de violences physiques présenteraient des marqueurs biologiques typiques à long terme, étendant les conséquences de leurs traumatismes jusqu’à l’âge adulte. Ces personnes vieilliraient biologiquement plus vite que la normale. De nouvelles données recueillies dans une nouvelle étude parue dans Science Direct confirment cette hypothèse, et apportent d’autres preuves quantitatives selon lesquelles les traumatismes infantiles peuvent raccourcir la durée de vie. Ces nouvelles données devraient permettre d’apporter plus de soutien aux victimes, en aidant à mieux comprendre la profondeur de leurs besoins.
Au-delà des traumatismes physiques et psychologiques vécus sur le moment, la maltraitance et la violence sexuelle chez les enfants peuvent engendrer des séquelles beaucoup plus profondes qu’on ne le croit. Ces séquelles sont telles qu’en grandissant, ces enfants peuvent souffrir de dépression, d’anxiété et de nombreuses autres maladies qui pourraient les affecter sur le long terme.
Des recherches antérieures ont montré que la capacité de résilience de ces enfants face à leurs traumatismes passés serait régie par le cortisol, une hormone du stress. Le taux de cette hormone, variant tout au long de la vie, est en temps normal faible chez les enfants, augmente à l’âge adulte et finit par diminuer progressivement en vieillissant. Chez les femmes victimes de violences pendant l’enfance, les niveaux de cortisol auraient tendance à être plus élevés pendant l’enfance, démontrant un dérèglement profond chez les victimes.
Physiologiquement, le cortisol aide à réguler la glycémie et la réponse neurologique « combat ou fuite » face aux situations stressantes. Un taux anormal de l’hormone peut alors conduire à une pression artérielle élevée (pouvant engendrer des maladies cardiovasculaires), des réponses immunitaires exagérées, des troubles digestifs (pouvant conduire à la formation de tumeurs dans les cas les plus extrêmes), etc.
Ce profil anormal de cortisol serait accompagné d’une accélération de l’âge épigénétique. Il s’agit d’une sorte d’horloge biomoléculaire définissant l’âge d’une personne selon la variabilité des marqueurs qu’elle présente. Cette variation peut résulter de facteurs environnementaux (mode de vie, exposition à certaines substances, …) et ne dépendrait pas du vieillissement chronologique.
Le risque de contracter certaines maladies peut augmenter avec l’âge, mais dans le cas d’enfants victimes de traumatismes précoces, les marqueurs biologiques ne correspondraient pas à leur âge, les rendant plus vulnérables que la moyenne aux pathologies liées à l’âge.
La nouvelle étude, dirigée par l’Université de Columbia, complète ces recherches en quantifiant la liaison entre les biomarqueurs du vieillissement et les traumatismes infantiles. « En somme, nos résultats contribuent à soutenir l’hypothèse selon laquelle la maltraitance infantile perturbe les processus de vieillissement sain », indiquent les chercheurs.
Un vieillissement anormal plus marqué chez les femmes
Dans le cadre de la nouvelle étude, les chercheurs ont recruté 357 sujets âgés de 32 à 49 ans, et qui ont tous été victimes de négligence, de violences physiques ou sexuelles pendant leur enfance. 200 autres volontaires témoins ont été recrutés, selon des similitudes économiques et sociodémographiques (pendant leur enfance) correspondant aux 357 victimes.
Pour évaluer le vieillissement biologique chez les deux groupes, deux types de tests sanguins ont été effectués. Le premier, baptisé Klemera-Doubal Biological Age (KDM BA), détermine à quel âge certains marqueurs biologiques peuvent être considérés comme typiques. Par exemple, si une personne a un résultat KDM BA de 53 alors qu’elle n’a en réalité que 49 ans, cela indique qu’elle vieillit plus vite que son âge. Le deuxième test, dénommé PhenoAge, mesure également l’âge biologique, mais estime aussi les risques de décès dans les dix prochaines années.
Les données relevées par le biais du KDM BA ont montré que les victimes de maltraitance pendant leur enfance sont plus susceptibles d’avoir des marqueurs biologiques indiquant qu’elles sont plus âgées biologiquement que chronologiquement. De plus, les femmes vieilliraient plus vite que les hommes, et les personnes d’origine non caucasienne vieilliraient plus lentement que les caucasiennes.
Cependant, il faut tenir compte qu’un certain nombre de volontaires choisis en tant que témoins auraient également pu être victimes durant leur enfance sans que cela ne soit officiellement enregistré. Cela pourrait biaiser les résultats de la recherche, d’autant plus que les tests PhenoAge n’ont pas montré de résultats significatifs. Toutefois, les chercheurs estiment que ces premiers résultats soulignent suffisamment l’importance d’une prise en charge et d’un suivi plus approfondis pour les victimes de maltraitance infantile. Cela pourrait notamment soutenir de manière significative leur résilience.