Facilement reconnaissables au leurre (parfois bioluminescent) présent sur leur nageoire dorsale, les lophiiformes, plus connus sous le nom de poissons-pêcheurs, sont des créatures qui fascinent les biologistes marins. Malgré une très haute difficulté à les observer dans leur environnement, les scientifiques ont pu, pour la première fois, étudier l’accouplement de deux de ces poissons grâce à une vidéo étonnante.
Les lophiiformes sont des poissons osseux benthiques (vivant dans les grandes profondeurs) dont la morphologie difforme et le mode de prédation – via l’esca (le leurre) situé sur l’illicium (la première nageoire dorsale) – en sont les principales caractéristiques. Vivant au sein des profondeurs marines, ces poissons sont extrêmement difficiles à observer dans leur habitat naturel.
C’est pourquoi cette vidéo inédite, capturée dans les eaux des îles Açores au Portugal, a stupéfié les biologistes :
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La majorité des données recueillies sur les poissons-pêcheurs proviennent de cadavres récupérés dans des filets. Les scientifiques ont déjà répertorié plus de 160 espèces différentes, mais il n’existe qu’un petit nombre de vidéos les montrant évoluer dans leur habitat naturel. Tandis que cette vidéo est la toute première à avoir capturé un accouplement. « Donc vous comprenez à quel point cette découverte est rare et surtout importante. C’est vraiment sensationnel » explique Pietsch.
La vidéo a été tournée à 800 mètres de profondeur par Kirsten and Joachim Jakobsen, des explorateurs d’eaux profondes, à l’intérieur d’un submersible. Le couple approchait de la fin d’une exténuante plongée de 5h le long d’un mur en eau profonde sur le côté sud de l’île de São Jorge, lorsque « quelque chose avec une drôle de forme » a attiré leur attention, explique Kirsten. Ils ont ensuite suivi l’étrange créature pendant 25 minutes capturant ses déplacements depuis la petite fenêtre (1.4 m de largeur) de leur habitacle. Bien qu’excitante, l’opération s’est également révélée compliquée car la femelle ne mesurait que 16 cm de long.
Après leur mission, le couple a envoyé les images à Pietsch, qui a pu identifier l’espèce du spécimen comme un Caulophryne jordani, plus connu sous le nom de « fanfin pêcheur » (ou poisson-pêcheur chevelu). Le biologiste s’est montré fasciné par la « grâce » de l’espèce, en particulier la façon dont ces structures semblables à des moustaches – appelées filaments et rayons des nageoires – enveloppaient l’animal. « Toute proie touchant l’un de ces filaments entraînerait une réaction immédiate du poisson-pêcheur et finirait gobée » explique Pietsch. « Ils ne peuvent se permettre de laisser une proie s’échapper car la nourriture est vraiment rare à ces profondeurs ».
La lumière dégagée par le spécimen était également fascinante. Comme d’autres lophiiformes, la femelle C. jordani possède un leurre bioluminescent sur la première nageoire dorsale, destiné à attirer les proies directement dans sa bouche. Cependant, dans la vidéo, les filaments semblent également émettre de la lumière à leur extrémité à intervalles réguliers ; phénomène jamais observé jusqu’à maintenant. Bien que Pietsch suspecte que la lumière soit également bioluminescente, il précise qu’il est difficile de savoir si elle provient de l’animal lui-même ou de la réflexion de la lumière du submersible.
Le mâle est également un élément clé de la découverte. Chez les lophiiformes, les mâles ne vivent que pour trouver une femelle à féconder. Du fait de leur petite taille, ils ont des difficultés à trouver de la nourriture, c’est pourquoi dès la naissance ils sont dotés de puissants organes olfactifs leur permettant de trouver rapidement des femelles afin de ne pas dépérir avant la reproduction.
Une fois une femelle localisée, le mâle mord sa peau en libérant une enzyme particulière qui dissout à la fois sa bouche et à la fois la peau de la zone mordue, afin que les vaisseaux sanguins des deux protagonistes fusionnent. Ensuite, le corps du mâle dépérit progressivement, organe par organe, ne laissant que ses gonades libérant du sperme en réponse aux stimulis hormonaux de la femelle, indiquant le début de la ponte. Les scientifiques connaissent ce mode de reproduction atypique depuis longtemps, mais n’ont pu l’étudier que sur des individus morts, jusqu’à aujourd’hui.
Bruce Robinson, écologiste des grandes profondeurs au Monterey Bay Aquarium Research Institute (Californie) affirme avoir été également impressionné par la flexibilité du mâle en dépit de son attache solide à la femelle, comme s’il pouvait se déplacer dans n’importe quelle direction autour de son corps. « Jamais je n’aurais pu deviner un tel comportement à partir d’un des spécimens du musée ».
Les poissons-pêcheurs forment un groupe extrêmement diversifié, avec une « grande variété de structures et d’espèces », mais ils restent très difficiles à étudier du fait de leur vie en eaux profondes océaniques (entre plusieurs centaines et plusieurs milliers de mètres), explique Peter Bartsch, biologiste marin au Musée d’Histoire Naturelle de Berlin. Avec le développement des technologies d’exploration marine, des vidéos comme celle-ci devraient devenir plus fréquentes et nous fournir de précieuses informations sur le mode de vie de ces étranges créatures.