Les vidéos d’animaux sauvages générées par IA sèment la confusion et nuisent à leur conservation

Elles véhiculent de fausses idées sur ces animaux et exacerbent la déconnexion de la société à la nature.

videos-animaux-IA-conservation-couv
Capture d'écran d'une vidéo générée par IA d'animaux sauvages circulant sur Tik Tok.
⇧ [VIDÉO]   Vous pourriez aussi aimer ce contenu partenaire

Les vidéos d’animaux sauvages générées par IA qui inondent les réseaux sociaux menacent les efforts de conservation en propageant de fausses idées sur leur comportement, selon une récente enquête. Elles véhiculent des représentations trompeuses de leur abondance et accentuent la déconnexion de la société avec la nature — sans compter que ces vidéos touchent particulièrement les enfants et les jeunes, appelés à devenir les principaux acteurs de la conservation de la biodiversité dans les années à venir.

L’IA générative permet désormais de créer des images ou des vidéos d’animaux sauvages d’un réalisme saisissant. Leur diffusion massive risque d’altérer la perception du public de la faune, de sa diversité et de ses comportements, en particulier chez les plus jeunes, très sensibles aux contenus médiatiques. Si l’attention se porte traditionnellement sur des animaux emblématiques comme le « Big Five » africain (le lion, l’éléphant des savanes, le buffle du Cap, le léopard et le rhinocéros noir), la situation a pris une ampleur inédite avec l’essor de l’IA générative et des plateformes comme TikTok et Instagram.

Ce phénomène pose problème car ces vidéos montrent souvent des comportements d’animaux sauvages hautement improbables dans la nature. Autrement dit, elles diffusent des représentations fausses de leur comportement réel, d’autant que certains créateurs affirment que leurs vidéos générées par IA sont authentiques.

Cette publicité mensongère accroît encore la diffusion de ces contenus, augmentant partages et abonnements des désinformateurs. Des millions de personnes y croient, trompées par le réalisme des vidéos. L’une d’elles, devenue virale, montre par exemple un scénario improbable : un léopard pénétrant dans un jardin où joue un enfant. Un chat affronte l’animal pour protéger l’enfant et le met en fuite. La vidéo a récolté plus d’un million de « j’aime » et a été partagée plus de 15 000 fois.

Une autre vidéo montre un singe attaqué par un puma, qu’il frappe avec une poêle pour se défendre — un ton humoristique qui a permis d’obtenir près de 2 millions de « j’aime » et 1 million de partages. Une autre encore montre un enfant jouant dans un jardin se faire emporter par un aigle avant qu’un chien n’intervienne pour le sauver. Celle-ci a récolté plus de 5 000 « j’aime » et a été partagée plus de 600 fois.

Cependant, malgré leur prolifération, leurs impacts sur la perception qu’a la société de la biodiversité et sur les efforts de conservation restent peu étudiés. Des chercheurs de l’Université de Cordoue, en Espagne, se sont penchés sur ces effets en menant une analyse des différentes conséquences que ces vidéos générées par IA ont sur la connaissance et la protection des espèces sauvages.

Capture d’écran de vidéos générées par IA d’animaux sauvages circulant sur TikTok.

Une déconnexion croissante avec la nature

En étudiant des milliers de vidéos partagées sur les réseaux sociaux, les chercheurs ont identifié plusieurs problèmes majeurs : la désinformation, la tendance à l’anthropomorphisme — c’est-à-dire l’attribution de comportements humains aux animaux — et la déconnexion croissante du public avec la nature.

Selon eux, ces images présentent des comportements, des habitats ou des relations interespèces qui n’existent pas dans la nature. On y voit par exemple des prédateurs et leurs proies jouer ensemble, voire interagir avec des enfants dans des décors manifestement domestiques. Certaines vidéos montrent même des espèces issues de régions du monde différentes cohabiter, ou encore des animaux incapables de se reproduire entre eux donner naissance à des petits.

« Elles nous montrent des animaux dotés de comportements humains, bien éloignés de la réalité », explique dans un communiqué José Guerrero-Casado, chercheur au département de zoologie de l’Université de Cordoue et auteur principal de l’étude, publiée récemment dans la revue Conservation Biology. « La vidéo de l’enfant qui joue dans la cour, celle avec le léopard, nuit à la conservation de cette espèce, car on ne la rencontrera jamais dans un tel contexte », ajoute-t-il.

Un risque d’augmentation du trafic d’espèces sauvages

Les observations des chercheurs confirment celles du projet IncluScienceMe, qui met en lumière un manque criant de connaissances sur la faune chez les jeunes enfants. Les vidéos favorisent des perceptions erronées de la nature en laissant croire, par exemple, que des espèces menacées sont abondantes dans la nature.

Ces images suscitent également frustration et déception chez les enfants, qui s’attendent à croiser des capybaras à la campagne, ou à ce que lions et gorilles puissent venir à leur rencontre sans représenter de danger.

« Si les jeunes enfants vont à la campagne et ne trouvent pas ces animaux aux comportements charismatiques ou “magiques”, cela produit l’effet inverse en matière de lien affectif », souligne la coauteure de l’étude, Rocío Serrano-Rodríguez, du département d’éducation de l’Université de Cordoue.

De plus, la diffusion de ces vidéos donnant une image idéalisée ou faussée des animaux sauvages encourage certains à vouloir adopter des espèces exotiques comme animaux de compagnie. Une tendance qui pourrait alimenter le trafic illégal d’espèces et la propagation d’animaux invasifs, souvent relâchés dans la nature lorsque leurs propriétaires ne peuvent plus s’en occuper.

Pour contrer ces dérives, les chercheurs recommandent d’intégrer l’éducation à l’environnement et aux médias dans les programmes scolaires, tout en mettant à disposition des citoyens des outils de vérification de l’information. Ces approches devraient inclure, dès le plus jeune âge, une sensibilisation à la vérification des sources fiables.

Source : Conservation Biology

Laisser un commentaire