Alors que la prévalence du SIDA en Afrique est la plus élevée au monde, les personnes d’origine africaine sont largement sous-représentées dans les recherches pour la lutte contre la maladie. Pour la première fois depuis plus de 25 ans, des scientifiques ont découvert une variante du gène CHD1L spécifique à la population qui semble conférer une protection naturelle contre le VIH. Cette découverte offre un nouvel espoir pour le développement de traitements potentiellement plus efficaces et plus ciblés.
D’après les derniers chiffres de l’ONUSIDA, 39 millions de personnes sont séropositives dans le monde et 630 000 ont succombé à la maladie en 2022. Les avancées en matière de stratégies thérapeutiques ont permis de réduire considérablement le taux de transmission du virus, avec un accès aux antirétroviraux pour 29,8 millions de patients. Mais malgré ces avancées, 1,3 million d’individus ont été nouvellement infectés la même année.
Des populations sous-représentées
Étant donné qu’il n’existe encore aucun médicament ou vaccin pour éradiquer efficacement le virus, les stratégies thérapeutiques actuelles se basent généralement sur la réduction de la charge virale, pour ralentir la progression de la maladie et en réduire la transmission. Cependant, la plupart des recherches sur lesquelles s’appuient ces stratégies ont été menées sur des populations caucasiennes. Alors que plus de 25 millions de séropositifs vivent en Afrique, les études sur les populations d’ascendance africaine dans le cadre de la lutte contre le SIDA sont relativement rares. L’Afrique subsaharienne est la région la plus touchée au monde, avec la prévalence la plus élevée au Botswana.
D’un autre côté, le VIH/SIDA possède une variabilité épidémiologique considérable (réponses immunitaires, réponses aux traitements antirétroviraux, charge virale …), dont la grande majorité est attribuée à des facteurs génétiques. Étant donné que les populations africaines présentent dans l’ensemble une grande diversité génétique, des chercheurs ont précédemment émis l’hypothèse selon laquelle l’hétérogénéité dans l’évolution de la maladie est en partie due à cette variabilité génétique. Cette hypothèse a été confirmée par des analyses génomiques explorant les interactions complexes entre les gènes et l’environnement des patients.
Cependant, « les populations africaines sont encore considérablement sous-représentées dans les études sur l’ADN humain, malgré le fardeau le plus élevé de l’infection par le VIH », indique Paul McLaren du Laboratoire national de microbiologie de l’Agence de la santé publique du Canada. McLaren est coauteur de la nouvelle étude internationale sur le sujet, récemment rapportée dans la revue Nature. Alors que des variantes génétiques liées à l’infection au virus ont été découvertes chez les populations d’origine européenne, les différences génétiques individuelles des hôtes dans la progression de la maladie sont peu explorées en Afrique et chez les populations qui y sont issues.
Une variante unique aux personnes d’ascendance africaine
Au cours des recherches menées sur des populations caucasiennes, deux principales variantes génétiques influençant la charge virale du VIH ont été identifiées : l’antigène leucocytaire humain de classe I (HLA) et le motif C-C du récepteur de la chimiokine 5 (CCR5). Ces deux gènes sont liés à environ 15% des différences de charge virale.
Dans l’étude de McLaren et ses collègues, les génomes de 2682 hommes et femmes d’ascendance africaine (2535 Afro-américains et 147 Kenyans) ont été analysés pour identifier les variantes génétiques modulant l’infection au VIH-1 (la forme d’infection la plus fréquente). Il a été constaté que la charge virale était influencée par des variantes du gène HLA, tandis que celles du CCR5 n’avaient aucun effet. En revanche, une nouvelle variante spécifique et située dans une région du chromosome 1 a été découverte. Elle se situe entre un long ARN intergénique non codant (LINC00624) et le gène CHD1L, et est associée à une charge virale considérablement réduite.
À savoir que nous possédons tous le gène CHDL1, codant pour une hélicase impliquée dans la réparation de l’ADN. Mais la variante intergénique nouvellement découverte est véritablement unique aux personnes d’origine africaine, avec un taux de présence de 4 à 13%. La découverte a été corroborée par le biais d’une seconde analyse effectuée sur 1197 autres Africains issus de plusieurs pays différents. Il s’agit de la première découverte d’une variante génétique liée au SIDA en plus de 25 ans de recherche.
Afin de savoir comment la variante du gène affecte la capacité d’infection du virus, les chercheurs ont sélectionné des macrophages dérivés de cellules souches ainsi que d’autres lignées immunitaires chez lesquelles CHD1L a été désactivée, ainsi que quelques-unes où son activité est refusée (CHD1L « knockdown » et « knock-out »). Il s’est avéré que le VIH s’est répliqué plus intensément au niveau des macrophages. En revanche et de manière étonnante, la désactivation de la variante CHD1L n’a eu aucun effet notable sur les lymphocytes T, au niveau desquels le virus est habituellement connu pour se répliquer.
« Ce gène semble être important pour contrôler la charge virale chez les personnes d’ascendance africaine. Bien que nous ne sachions pas encore comment cela se produit… le lien entre la réplication du VIH dans les macrophages et la charge virale est particulièrement intéressant et inattendu », conclut Harriet Groom de l’Université de Cambridge, également coauteure de l’étude. La prochaine étape sera d’explorer les mécanismes biomoléculaires sous-jacents aux effets protecteurs de ce variant spécifique, pour potentiellement aboutir à des traitements plus ciblés.